Que les Bejaouis aiment le poisson, cela est de notoriété publique. Favorisés par un littoral généreux, ils se délectent des fruits de la mer. La culture locale est ainsi riche des mille façons d'apprêter le poisson : en soupe, grillé, à l'huile, au four, en solo ou en accompagnement. Mais, ce n'est plus que de l'histoire ancienne. Non point que les fiers habitants de la cité des Hammadites aient subitement perdu le goût de la daurade ; ils adorent toujours et c'est le nez frémissant qu'ils se rendent quotidiennement au marché flairer la bonne affaire sur les étals des poissonniers. Ils « scannent » chaque casier, qu'il contienne de la sardine, des crevettes, du mulet, du rouget, de la sépia, du merlan, de la raie, de la bonite, des gros yeux, plus rarement du thon et de l'espadon, et encore moins quelque exotique créature marine. Il y en a quelques autres, mais ce sont invariablement les mêmes espèces qui habillent les étals. Cela ne les met pas pour autant à la portée de toutes les bourses. Un poissonnier à qui on demandait le prix de la sardine, a eu cette réponse : « Ce n'est pas de la sardine, c'est Si sardine ! ». Alors, si l'on voit beaucoup de badauds, il y a bien peu d'acheteurs. Généralement de la sardine. A 450 dinars le kilo, c'est tout de même le poisson le moins cher. Le reste nage entre 700 et au-delà des 1.200 dinars, donnant l'impression d'être là plus pour frimer qu'être tenté par une pirouette dans la sauteuse de la ménagère. Le poissonnier lui-même a pris des airs de bijoutier. Conséquemment, la majorité des clients s'approchent, lèchent le poisson du regard et repartent dépités, les mains dans les poches, hochant la tête, encore sous le choc. Oui, il est bien loin le temps où les Bejaouis pouvaient apaiser, pour quelques dizaines de dinars seulement, leur fringale de sardine en allant se gaver de friture du côté du port. Kader, lui, est prêt à faire tous les sacrifices. Il a l'intention de se faire plaisir au repas de fin d'année et s'est donc résolu à faire le plein de poisson tant que les sacrifices financiers lui sont encore soutenables. Encore faut-il trouver le poissonnier de confiance qui ne vous refile pas de la carne. C'est d'ailleurs avec un regard suspicieux que les clients scrutent la marchandise, souvent fardée et jetant quelquefois le doute sur sa fraîcheur. Les vendeurs s'en lavent les mains. Ils ne font que prendre leur marge. Ils s'accommodent même de l'insalubrité de leur environnement de travail. La soi-disant pêcherie ne fait pas exception. C'est une vieille bâtisse qui l'abrite. Une enveloppe financière a été consentie par le ministère de la Pêche pour la réhabiliter et la réaménager. Mais c'est cautère sur jambe de bois. L'endroit menace ruine, comme le confie le wali, Ouled-Salah Zitouni, offusqué de constater que Bejaïa ne dispose pas d'une pêcherie digne de ce nom, qui a indiqué avoir donné ordre d'arrêter de gaspiller les ressources financières et procéder à sa démolition pour laisser place à un projet plus conséquent.