Al-Sadr prône l'instauration d'une république islamiste ; Sistani incarne un courant détaché du politique. En marge des combats entre rebelles irakiens et forces américaines, un autre duel, beaucoup plus feutré mais tout aussi acharné, s'est livré à Najaf, dans l'ombre du mausolée d'Ali. Depuis des mois, deux hommes s'affrontent pour le contrôle du tombeau et, au-delà, des millions de fidèles qu'il draine chaque année. Vendredi, le grand ayatollah Ali Sistani a remporté une indéniable victoire sur son jeune adversaire Moqtada Al-Sadr. Sous la menace des blindés américains, le jeune imam radical a dû accepter les conditions fixées par le vieil ayatollah et quitter le sanctuaire qu'il occupait avec ses miliciens. L'un et l'autre sont des «sayed», des descendants du Prophète, reconnaissables à leur turban noir. Mais à part leur tenue, tout, ou presque, les différencie. A 31 ans, Moqtada Al-Sadr a un visage encore poupin. Ses détracteurs se gaussent de son «immaturité» qu'ils opposent à la «sagesse» d'Ali Sistani, deux fois et demie plus âgé. Le jeune imam bénéficie certes de la renommée attachée à son nom. Les Al-Sadr ont fourni plusieurs grands ayatollahs, dont son père, Mohammed Sadeq Al-Sadr, assassiné par Saddam Hussein. En dépit de sa glorieuse ascendance, il lui manque la légitimité religieuse. Il n'est pas ayatollah, mais hodjatoleslam, titre d'un rang inférieur. Depuis la mort en 1992 du grand ayatollah Abou'l-Qasem Al-Khoï, Ali Sistani est, lui, considéré comme le principal marja?, source d'inspiration pour les croyants. Comme son prédécesseur, il incarne un courant quiétiste du chiisme, détaché du politique et très éloigné des positions radicales de Al-Sadr. Alors que le jeune leader prône l'instauration d'une république islamique, les dignitaires vénérés pour leur talent d'exégètes qui entourent Sistani estiment que dans l'attente d'un retour du Mehdi, l'imam caché, aucun pouvoir temporel ne peut prétendre à la justice divine. Sistani appelle à la tenue d'élections et à la poursuite d'un processus politique que son rival récuse au nom de la lutte contre l'occupation étrangère. Exclu de l'élite savante, Moqtada Al-Sadr recrute parmi les déshérités. Il s'est engouffré dans le vide créé par l'effondrement du régime baâsiste. Il a rebaptisé Saddam City, grand faubourg chiite de Bagdad, du nom de Al-Sadr, en hommage à son défunt père. Ses bandes armées ont imposé dans le quartier leur ordre islamique, rendant le port du voile obligatoire et interdisant l'alcool, la musique ou la danse. Contrairement aux principaux autres leaders chiites, il n'est jamais parti en exil et exploite les sentiments antiaméricains de la population. Mais son armée du Mehdi, qui mêle bandes de quartiers et jeunes religieux, manque d'expérience. Dès le début, il s'est heurté à la direction religieuse de Najaf. Ses partisans ont assassiné Abdel Majid Al-Khoï, fils d'Abou'l-Qasem Al-Khoï, revenu en Irak dans les fourgons de la coalition. Chassé de Kerbala, il s'est emparé de Najaf. Devenu quasiment son prisonnier, Sistani a gagné Londres dès le déclenchement des hostilités par le nouveau pouvoir irakien, officiellement pour raison de santé. En réalité, pour ne pas servir d'otage et laisser le champ libre aux GI.