Lorsqu'on découvrit Helena Moore la tête en bas dans une citerne, ses jambes impeccablement gainées de bottes dressées bien droit vers les cieux — où son âme s'était ou non envolée — il y eut un certain nombre de gens pour ne pas s'en trouver attristés. Je suis gênée de devoir avouer que j'en faisais partie. Voyez-vous, Helena était vraiment quelqu'un d'assez difficile à vivre : le genre de personne qui a le don de vous mettre en rogne sans réellement le faire exprès. Personnellement, j'avais un problème avec elle à cause des culottes de cheval. Tout en élevant mon fils de quinze ans, Ned, je tiens une petite boutique dans le même bâtiment que les écuries où se trouvait le cheval d'Helena Moore, ainsi, que la citerne qui était vouée à devenir son dernier séjour avant le repos éternel. Du coup, vous pourriez dire que je trempais dans cette histoire jusq'au cou. Quoi qu'il en soit, environ un mois avant ce décès inattendu, Helena m'avait commandé une paire de culottes de cheval. Elles n'étaient pas très chères — plutôt le genre qu'on met tous les jours au lieu de celles qu'on garde pour les «grandes» occasions — et elles faisaient du 26 taille longue : Helena, avait dit que c'était ce qu'il fallait pour ses jambes. D'après les mensurations, vous en déduirez qu'Helena était grande et mince. Pour tout dire, en fait, elle paraissait encore pas mal pour une femme qui n'était, disons plus de première jeunesse. Je ne le lui avais jamais envié ou reproché et en fait, je l'admirais pour cela. Je veux dire que je l'admirais pour cela lorsque, je pensais à elle, c'est-à-dire pas très souvent. En tout cas, pas jusqu'à cette histoire de culottes. Elles arrivèrent comme prévu. Comme prévu j'avertis Helena — en laissant un mot sur le placard de la sellerie — et, comme prévu, elle vint les prendre. Cependant, quelques jours plus tard, elle fit son apparition dans ma boutique, jeta sans façons les culottes sur le comptoir et m'annonça qu'elles ne lui allaient pas. — Elles ne sont pas à la bonne taille ? demandai-je. — Oh, si, répliqua-t-elle en me fixant de ses yeux bleus, à travers ses lentilles de contact. Ce n'est pas ça. C'est simplement que je ne peux pas les porter. — Je vois, dis-je alors, que je ne voyais rien du tout. Eh bien, je vais le renvoyer. (Je commençai à lui faire un chèque de remboursement.) Ou plutôt, repris-je, je vais les garder pour moi. Je n' ai sûrement pas de longues jambes, et je ne rentre dans du 26 que si je n'ai pas mangé, mais quand il s'agit simplement de s'occuper de chevaux tous les jours — et je ne fais rien d'autre ici — qu'est-ce que ça peut faire ? — Vous pouvez les mettre ? demanda Helena, apparemment stupéfaite. — Je considérai les culottes, qui avaient un grand trou au-dessus, une fermeture Eclair et deux jambes. — Je crois, oui, dis-je. Pourquoi ? — Ah. Eh bien, moi, je ne peux pas. (Elle prit un air de tragédienne, comme si elle était sur le point de m'apprendre une infirmité ou une tare congénitale dont elle était affligée.) A suivre