En général, la sérendipité est le fait de faire une découverte scientifique ou une invention technique de manière inopinée grâce à un concours de circonstances fortuit et assez souvent dans le cadre d'une recherche inhérente à un autre sujet. C'est le fait même de trouver autre chose que ce que l'on cherchait, un peu comme Christophe Colomb pensant avoir débarqué aux Indes Orientales et découvrant l'Amérique ! C'est donc une découverte par le fait du hasard mais aussi de la sagacité, selon la définition de Sylvie Catellin de l'université de Versailles, auteur de «Sérendipité, du conte au concept». C'est un peu le cas de la présente chronique dont l'auteur qui cherchait des traces artistiques dans le quartier algérois de Belcourt a redécouvert qu'Amar Ouhadda, grand chansonnier et humoriste social de la même veine que Rachid Ksentini et Mohamed Touri a quitté Alger, définitivement et subrepticement, un certain jour de septembre. Septembre, on n'y est certes pas encore, mais pour le souvenir il ne faudra pas attendre à chaque fois les dates anniversaires. Alors, bonjour Dda Amar et Saha Guerroum ! Acteur de théâtre et de cinéma, Amar Ouhadda est décédé à 90 ans, après avoir souffert de l'amnésie artistique des Algériens et d'un diabète chronique. Il a été enterré sobrement et discrètement au cimetière algérois d'El Madania, l'ancien Clos-Salembier, à quelques encablures de son quartier fétiche de La Redoute, à El Mouradia. Il y dort désormais du sommeil des justes artistes, de ceux qui ont donné à leur peuple du réconfort. Du bonheur même, celui des rimes guillerettes, des notes joyeuses, des planches théâtrales et des studios de cinéma et de télé. Amar Ouhadda, algérois de racines kabyles, avait un talent polymorphe au service d'une phénoménale capacité à insuffler l'allégresse dans les cœurs. Grand ami de Khouya El Baz, surnom fauconnier du géant Mohamed El Badji, le compositeur belcourtois qui faisait chialer les guitares, Amar Ouhadda s'est fait surtout connaître par des chansonnettes, des goualantes qui sont autant de peintures des mœurs de son époque. Il y avait de la psycho-sociologie dans ses ritournelles humoristiques, comme dans la célèbre «Guerrouma ou-Guerroum», hymne en couplets à un vieux couple de gérontes grincheux mais éminemment sympathiques qui se chamaillent pour mieux se retrouver, dans la tendresse renouvelée des séniors qui ne se quittent plus. On retrouve une inspiration, une tonalité et des aquarelles identiques dans sa fameuse «Ettzaouèdjt oudert enniya», littéralement, «je me suis marié de bonne foi». Attention, il ne s'agit pas de la complainte d'un marié trompé ou qui se serait trompé sur un choix de vie, mais plutôt d'un hommage au mariage traditionnel, dit de raison, qui est la forme d'union la plus courante en Algérie. Racines kabyles obligent, Amar Ouhadda a chanté aussi en tamazight, comme certains grands artistes, notamment de châabi, originaires de cette terre de créateurs de génie tels M'Hhamed El Anka, Hadj Mrizek, Hssissen et Amar Ezzahi ou encore l'inoubliable Cheikh El Hasnaoui. Pour le souvenir et le plaisir, citons alors la douce et délicieuse chanson «Ekker Mattesdoud (matteddoud)», qu'on pourrait restituer en français par «viens m'accompagner ou viens avec moi» : invitation pudique à un amour à partager, exhortation à cheminer sur le sentier d'une tendresse commune. Artiste polychrome, Amar Ouhadda fut également un acteur de théâtre stylé. Sociétaire du TNA, le Théâtre national mais surtout un compagnon de route de l'immense Hassan El Hassani, le célèbre «homme à la vache», alias Boubagra, le Fernandel du Titteri. Au début des années 1970, celles d'une Algérie révolutionnaire et socialiste, il rejoint ce frère d'art à la TTP, c'est-à-dire la Troupe populaire d'un théâtre d'itinérance et de proximité. Il y côtoiera d'autres grands des planches algériennes de l'époque, entre autres, Mustapha El Anka, Tayeb Abou Al Hassan et Rachid Zouba. Humoriste en diable, ce comédien s'est distingué aussi par des sketchs savoureux dont la sapidité rappelle beaucoup ses propres chansonnettes qui croquent les travers et les mœurs de ses compatriotes de l'époque. Evoquant le Vieil-Alger et notamment la Casbah, Amar Ouhadda signe alors trois mémorables saynètes, trois morceaux d'anthologie que sont «Hayek Lemramma» (voile de soie naturelle fine, tissée anciennement à Tlemcen), «Aâdjar El Horma» (le voile de la pudeur) et «Ettarbouche el-Mâanguar» (le Fez droit porté, signe de dignité, symbolisant la tête haute). Avant de quitter les planches et les plateaux de télé, Amar Ouhadda a tourné des «aventures» qui portent son nom. Il s'agit des tribulations d'un Algérois dans la nouvelle Algérie, celle qui n'était plus tellement socialiste mais qui n'était pas, non plus, tout à fait libérale. Une sorte d'entre-deux bien algérien, construit sur l'ambigüité et le quiproquo. Ainsi fut l'artiste : polyvalent, gai, généreux, disponible, altruiste, digne, brave et courageux. En somme, des qualités si caractéristiques des Algériens de la trempe humaine et de la hauteur artistique de Guerroum, alias Amar Ouhadda. Ce saltimbanque algérois qui s'est retiré définitivement un certain jour de septembre, derrière les rideaux du théâtre de la vie. Da Amar, au revoir ! N. K.