Crime, abomination, barbarie, terreur, satanisme, effroi, choc indicible, abjection : les expressions de l'indignation la plus profonde ne manqueront pas pour qualifier les atroces assassinats d'enfants ou de femmes ! A l'image de la petite Nihal Si Mohand en Kabylie, de l'enfant d'Aïn Fekroun tout récemment coupé en morceaux ou de la femme brûlée vive à Constantine ! L'acte de décapitation et de la mort la plus atroce se banalise en même temps que devient plus ordinaire encore l'exercice de la violence. Et les chiffres officiels de la mort par violence exercée sont effarants et effrayants : près de 9 000 enfants victimes de violence de janvier 2014 à août 2015 ! Plus de 2 400 d'entre eux soumis à des sévices sexuels. En 2014, 247 enfants kidnappés, dont 23 assassinés ! Plus de 6 000 actes de violence contre des enfants en 2014, et 3 533 affaires de maltraitance physiques, dont 1 663 cas de sévices sexuels. Et si la police ne précise pas le mode opératoire des criminels, la presse livre en revanche des détails sordides sur une tendance en vogue chez les assassins : l'égorgement et la décapitation. Parfois un effort d'équarrissage chez des Jacques L'Eventreur qui utilisent couteaux de différentes lames, mais aussi haches, hachettes, machettes et autres outils de boucherie et de jardinage. La banalisation de la décapitation a, fait inédit, mobilisé plusieurs fois les imams du pays. Bien de leurs sermons sont alors dédiés à l'extension de l'aire et du nombre de crimes de sang. L'émotion fut telle que ces prêcheurs ont conseillé l'application du «qassass» coranique. Cet appel à l'usage de la règle religieuse d'œil pour œil, dent pour dent, est justifié, selon eux, par l'impuissance de l'Etat à combattre le crime et surtout le fait de ne pas réagir efficacement face à la multiplication des égorgements et des décapitations. Mais l'appel à la vengeance personnelle et surtout sa justification religieuse sont très dangereux. Dans le sens où se faire justice soi-même constitue une porte ouverte sur le pire dans une société fortement déstabilisée. Ce qui pourrait favoriser un autre cycle de violence rythmé par le binôme infernal vengeance-contre-vengeance. L'exhortation à l'application de la Loi du Talion est évidemment périlleuse. Il faudrait l'interpréter comme le symptôme clinique d'une perte de confiance accrue en la capacité de l'Etat à appliquer la loi et rendre équitablement la justice. Le comprendre également comme le signe d'une inquiétante anomie sociale, synonyme d'une installation dans les esprits de la culture de la loi de la jungle. Les pulsions de violence semblent résulter d'un trop plein d'énergies rendues libres par ce que Bruno Etienne appelle les «capacités contenantes de représentation». C'est-à-dire quand il n'y a plus rien, ni modèle politique dynamique, ni utopie, ni espoir, ni solution. Donc, lorsque les représentations du possible social, économique et politique s'arrêtent, on explose ! Et on éclate d'autant plus lorsque l'école est défaillante, au même titre que la famille et la mosquée. Et ça se délite davantage lorsque l'éducation devient vide de sens dans une société plus consumériste que jamais. Pis encore, soumise en même temps à la banalisation de la violence par des médias sensationnalistes. Notamment sur l'Internet, sphère du pire qui suscite des vocations criminelles, celles des terroristes qui mettent en scène l'égorgement et la décapitation et la diffusent à vaste échelle. Mais aussi celles de criminels de tout âge, des meurtriers ordinaires, des Jacques l'Eventreur en gandoura de Monsieur-tout-le monde ! N. K.