La politique américaine est claire: Pas de démocratie pour les majorités islamiques ! Pourquoi les médias reprennent-ils comme des perroquets le double langage orwellien d'Obama ? Dimanche 18 Août, par Patrick L. Smith Nous venons de vivre une semaine tragique, une semaine fatidique en Egypte. Il semble qu'il n'y ait pas de retour en arrière pour l'effusion de sang et les revirements politiques, et pour le court terme, cela se passera certainement ainsi. Il y a beaucoup plus à venir, comme les nouvelles de chaque heure le prouvent. Alors soit on accepte le triomphe de l'anarchie et de la cruauté sur la justice et l'humanité – ou l'on attend une autre tournure. Il faudra sans doute plus de sang, plus d'arrestations et de peines d'emprisonnement et même des tirs à bout portant ainsi que des familles détruites, mais les Egyptiens y arriveront – au-delà des longs règnes des dictateurs, et même les nouveaux d'entre eux. Les aspirations ne meurent jamais tout à fait. Et de nouveau, l'Amérique sera du mauvais côté de l'Histoire, complice de bloquer les progrès et libertés qu'elle prétend sans cesse défendre. En seulement quelques jours nous avons regardé le sabotage délibéré du premier gouvernement élu dans l'histoire égyptienne. Il n'y a plus de chance de restaurer le gouvernement du président Mohamed Morsi: La sauvagerie de l'armée et de la police contre les partisans de Morsi est destinée à détruire toute perspective. Il est probable aussi, que nous venons d'assister à la fin du printemps arabe ; les deux années de ce mouvement ont amené la promesse de gouvernements représentatifs au Moyen-Orient. La prochaine histoire de l'Egypte sera une nouvelle histoire et les événements de 2011 prendront leur place comme un prélude, un fragment de l'histoire. Même si le bilan des morts en Egypte grimpe depuis mercredi vers le millier, une chose plus importante s'est passée dans même temps; L'Amérique a atteint la limite de sa capacité d'adaptation à une nouvelle ère, celle qui exige une nouvelle réflexion et de nouvelles perspectives et une imagination vive qu'elle ne peut tout simplement pas gérer. L'activité de Washington à travers toute la guerre froide était de détruire les démocraties, ou réputées telles, en faveur de dictatures, ou réputées telles.... La seule différence entre cette période et la nôtre, est que l'on est convaincu à présent, que le projet américain échouera si l'Amérique ne parvient pas à changer de cap. En regardant en arrière au cours des six semaines, depuis que l'armée a déposé Morsi, il est étonnant de constater le degré de transparence avec lequel Washington a agi pour soutenir les généraux égyptiens. Susan Rice, conseillère à la sécurité nationale du président Obama, sert de « personne-ressource » pour la subversion de la démocratie en Egypte, et elle fait son travail ouvertement, plus ou moins. C'est elle qui a appelé les généraux, juste avant le coup du 3 Juillet pour les inciter à se retourner contre Morsi et que ça serait sans conséquences.... C'était Rice aussi, qui appelait alors les gens de Morsi pour leur dire : « »C'est fini pour vous ! Les généraux vont arriver. » » Maintenant, il y a un habile diplomate, « un ardent défenseur des droits de l'homme et défenseur de l'intervention américaine pour prévenir les abus », comme le New York Times l'a ridiculement mentionné. Vous comprenez ? Il est possible maintenant de comprendre la politique de la Maison Blanche d'Obama dans sa plénitude. Malgré un flot de belles paroles, cette administration n'a jamais été réactive sur le printemps arabe parce qu'elle n'était pas – et n'est pas – capable d'accepter un gouvernement démocratique dans les pays à majorité musulmane. Elle est philosophiquement et idéologiquement non préparée pour les formes non-occidentales de représentation légitime. Les Egyptiens sont tout simplement devenus les derniers témoins de cette réalité et les places publiques du Caire en sont une effrayante confirmation. Plus pressante a été l'intolérance par Israël d'un parti islamique – les Frères musulmans de Morsi – à sa frontière. Il est apparent, mais pas tout à fait évident, que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a voulu la tête de Morsi avant toute négociation. Il a accepté les pourparlers avec les Palestiniens quelques jours avant le coup d'Etat en Egypte et ce n'est pas rien. La terrible question est de savoir si le soutien américain à Israël empêche effectivement des progrès politiques dans le monde arabe. On craint pour la réponse, mais il est essentiel maintenant de poser le problème. Comment une politique aussi cynique que cela et aussi troublante dans ses implications, pourrait être exposée sous les yeux des Américains conservateurs? Nous arrivons là, à la performance de nos médias : « complicité » est un terme trop gentil pour décrire leur participation dans la désinformation; ça vient peut-être de tous ces différents courants de la guerre froide sponsorisés par l'administration, mais pas seulement. Dans le cas de l'Egypte, nous sommes confrontés à un mur énorme de mensonges. La complicité des médias à promouvoir ces mensonges est une forfaiture méprisable. On a vu cette cela dans les premiers jours quand Obama a refusé d'appeler par son nom, ce qui est un Coup d'Etat, en choisissant de maintenir le soutien financier à l'armée égyptienne – soit, près de 1,5 milliard de dollars d'aide comme chaque année – même lorsque le jeu est devenu dur, et que c'était bien un Coup d'Etat au sens de la Loi américaine. Aucun politicien américain, à ma connaissance, n'a appelé l'éviction de Morsi un Coup d'Etat. Mon passage préféré des idioties journalistiques a été dit lors du journal télévisé l'autre soir, parlant de « retrait de Mohamed Morsi en Egypte … » Si le présentateur était un de mes étudiants en journalisme, je lui aurait mis une gifle pour le style, et une autre pour l'éthique. Nous n'avons pas d'explication acceptable du Coup d'Etat égyptien parce qu'il n'en existe pas. Morsi n'était pas dans les cercles de l'armée, et il a fait des erreurs politiques certes, mais est-ce que les lecteurs et les téléspectateurs sont bien informés? Regardez attentivement et vous verrez que rien dans son dossier ne justifie un coup d'Etat et que les médias US ont constamment évité de parler de cette réalité. Les dernières nouvelles du Times parlent de l'époque où Morsi était quelqu'un d'incapable ! Une affirmation grave aux yeux de la classe politique de toute nation. Depuis les massacres de l'armée cette semaine, on a commencé à affirmer que c'était de « la lutte contre le terrorisme. » Washington aime bien ce mot autant qu'il a aimé « communisme », afin que nos correspondants et rédacteurs acquiescent. Pas d'explications pour nous, concernant l'engagement des Frères musulmans pour un travail politique pacifique depuis près d'un siècle. Pas même de preuves de toute activité terroriste que ce soit de la part d'un seul partisan Morsi. Mais les victimes doivent être condamnées comme les auteurs maintenant qu'ils ne sont plus. Avez-vous lu ou entendu les remarques d'Obama cette semaine au sujet des massacres du Caire ? Il les a condamnés dans les termes les plus « vigoureux » : « »Notre coopération traditionnelle ne peut pas continuer comme d'habitude quand des civils sont tués dans les rues et les droits sont bafoués » », a-t-il dit en partie. Le président nous laisse avec deux choses à méditer; tout d'abord, notre coopération traditionnelle va en effet continuer comme d'habitude. Obama en effet annulé un exercice militaire prévu, mais le poteau et la poutre de la politique américaine que représente les 1,5 milliard de dollars pour l'armée, est inchangée. Deuxièmement, notez qu'Obama n'a pas condamné le Coup d'Etat, mais seulement le « niveau de violence » qui a suivi celui-ci. J'ai laissé un point essentiel pour la fin. Le grand « mot » à Washington ces derniers jours, que de nombreux lecteurs ont sûrement remarqué, a été « l'effet de levier ». L'administration veut faire croire qu'elle a peu d'influence sur l'armée égyptienne, que les événements sont hors de son contrôle et que c'est profondément frustrant. Voici une remarque typique d'un fonctionnaire de l'administration, se référant à Obama et Susan Rice, sa conseillère à la sécurité: « Vous savez, ce qui se passe est extrêmement important, mais on est seulement des spectateurs de grandes décisions et c'est là un problème vraiment très difficile parce qu'il n'y a pas de marge de manœuvre de notre côté ». Ce type de pensée avec d'autres ont été fortement lardés par les médias américains dont aucune partie n'est crédible ; l'ingérence de Washington en Egypte a été intime et décisive pendant des décennies, ça a donné la dictature Sadate, puis celle de Moubarak. L'armée exécute ce que vous attendez, comme n'importe quel bénéficiaire de gros chèques peut faire pour le bienfaiteur ; sans parler de zèle et de « performance »… Mes déceptions profondes se résument en trois points, mes surprises en un seul. Il est pathétique que les Américains ne puissent rien faire de plus innovant que promouvoir le retour d'un autre dictateur typique de la période de la guerre froide. Mais nous avons à faire mieux que 1989, pour éviter des surprises. Les médias en Amérique ont une relation corrompue avec pouvoir, et nous venons de voir les conséquences de cette relation. Enfin, Obama s'est très profondément discrédité en abandonnant à leur sort, 80 millions d'Egyptiens. C'est une surprise. Je ne le pensais pas capable de ce genre de trahison et de tromperie. Les Egyptiens et tous les Arabes ont été trahis. Ils avaient un rêve, et qu'est-ce qu'a fait Obama à ce sujet ? Il n'a apporté que la déception aux Américains. Patrick Smith est l'auteur de : « »Le Times n'est plus: les Américains après le siècle américain » ». Il a été le chef du bureau à Hong Kong et Tokyo puis de l'International Herald Tribune de 1985 à 1992. Pendant ce temps, il a aussi écrit « Lettre de Tokyo » pour le New Yorker. Il est aussi l'auteur de quatre livres précédents et a contribué fréquemment dans le New York Times, la Nation, le Washington Quarterly, et d'autres publications. Source de l'article : http://www.salon.com/2013/08/18/new_york_times_complicit_in_the_destruction_of_egyptian_democracy/?source=newsletter Traduction de Mohamed-Omar Dehbi.