Si tu parles, tu meurs, Si tu te tais, tu meurs, Alors parle et meurs! » Tahar Djaout – Intellectuel Algérien (1954– 1993) En préambule, il est à noter que le pouvoir découle de l'imbrication de forces sociales structurées en instances de puissance, éléments constitutifs et cumulatifs de la trame historique de la société́. Astreignant dans sa nature, le pouvoir fédère et fonde l'ordre. D'autre part, le pouvoir n'est nullement circonscrit dans le gouvernement, perçu comme un assortiment de procédés techniques d'Etat agissant de manière hégémonique sur le matériel social. De ce fait le gouvernement non seulement n'est pas un type de pouvoir, il en est lui-même un produit, résultat de l'interaction concrète et consubstantielle de ces mêmes forces. Cependant, si le pouvoir se fourvoie simplement en un droit de souveraineté́ et s'érige en une mécanique d'assujettissement, alors dans sa démesure politique, sa raison d'être se dévoie et se sclérose pour finalement se cantonner à Régenter, Dominer et Réprimer. En déphasage avec les pulsations de la société, il élabore et diffuse en conséquence un régime de vérité à travers des discours impérieux qu'il acquiert et fait fonctionner comme vrais. Muré alors dans sa propre exubérance, faussement immaculée, il ne reconnaît que sa propre logique et refuse d'ouïr à toute critique sur soi. Ce faisant, et sans contredit, il diffracte de lui-même une image machiavélique, en étouffant toute velléité contraire à sa doxa. Mais juste au moment où les consciences se décrussent, où les discernements se cèlent, et où les esprits s'égarent, l'intellectuel porteur d'une parole critique se dévoile, et élit le courage de vérité comme posture sociale, qui défit, récuse et dénonce la coercition et l'intolérance aliénantes. Egal à un éclat céleste, ce franc-parler audacieux émerge d'une triade agencée démarquant l'intellectuel dans sa capacité d'être écouté (la sphère de la réceptivité de l'autre), d'être soi-même (la sphère de la liberté), et celle de décerner (la sphère de la raison). Mais ce courage de vérité, c'est aussi la sincérité souveraine mue dans le geste de celui qui prend la parole en son nom propre. Porté par la seule force de sa pensée critique, l'intellectuel pareil à une étoile filante illumine en un instant le ciel de l'absurde. Et contre la déraison et l'aveuglement, il dit vrai pour circonscrire la fortraiture dénaturante. Son attitude s'escompte alors entièrement dans son discours et s'identifie au dire-vrai qu'il a le courage de tenir aux tenants de l'ordre établi, assumant le risque que cette prise de parole implique pour sa propre vie. Dès lors, il est par qui le scandale – le scandale de la vérité – arrive. Provocant, il est celui qui veut en premier imploser les ghettos mentaux en disséquant les évidences régnantes afin de les déchoir de leur imposture et les renvoyer à leur place de genèse, c'est à dire l'asile de l'ignorance. L'épreuve de l'engagement moral dans son rapport à la société, c'est cela : et non pas la réflexion abstraite sur le régime idéal ou les formes de la rationalité politique, mais cette adresse directe et courageuse d'une vérité, énoncée en première personne, à celui qui détient le pouvoir en s'attachant à mettre en exergue que la césure asymétrique et périlleuse entre la sincérité audacieuse et le mensonge fétichiste fonctionne comme un impératif existentiel gravé dans les temps immémoriaux. Lucidement, l'intellectuel face au pouvoir, entrevoie que seul le verbe rénovant constitue son ultime liberté d'action devant les forces qui le dépassent. Mais c'est surtout sa profonde conviction que son dilemme est : soit se taire devant les puissants du moment, ou soit – et c'est le chemin le plus difficile – remettre en cause le césarisme gouvernant, et éclairer de sa parole le cœur ténébreux du Prince. Moment cartésien dans l'adversité, l'intellectuel d'un bout à l'autre de son existence, porteur d'une parole acerbe, éveille les consciences, en incitant chaque citoyen à s'occuper, non pas de sa fortune, de sa réputation, de son honneur ou de sa charge, mais de soi-même, c'est-à-dire : de sa raison et de la vérité. Pour avoir osé, le courage de vérité est vilipendé et ostracisé, et sa quête ne sera jamais réalisée unanimement. Eclairé par son seul entendement, l'intellectuel est condamné à poursuivre son cheminement, seul en dépit et contre les autres. Ce courage de vérité est le dire-vrai éthique façonné par l'épreuve de l'âme, sceau des Prophètes et Sages. Clamé depuis la nuit des temps, il est une manière de forger un juste sens à la finalité de l'action humaine face à la perdition, lit de la violence et son avatar l'injustice sociale. Khaled Boulaziz