Il y a un mal profond dont ont souffert les « masses populaires » dans les pays dits progressistes du monde arabe. C'est celui qui consiste à croire que le militaire est « par définition » plus patriote, plus nationaliste que le civil. Ce mal, qui va d'ailleurs de pair avec la crainte qu'inspire le militaire, a pris naissance avec la révolution des Officiers Libres de 1952 en Egypte et s'est renforcé au fur et à mesure que d'autres pays ont suivi le même chemin (Irak, Syrie, Algérie, Libye, Soudan, Yémen). Ce fut, bien évidemment, une mystification car en vertu de quoi un colonel ou un général serait-il plus patriote qu'un civil occupant le poste de DG d'entreprise, professeur en médecine chef d'un service hospitalier ou docteur en sociologie ou en physique responsable d'un département dans une université? Aujourd'hui, certains nous disent que c'est l'Armée qui est le seul garant de la stabilité et de la sécurité du pays, comme si en dehors d'elle, la masse des civils n'était qu'un immense réservoir de lâches et de traitres potentiels. Mais ces gens-là oublient que lorsque l'Algérie était occupée, c'étaient les civils, les gens du peuple qui s'étaient mobilisés pour prendre les armes et libérer le pays. Ils oublient que l'armée de Saddam Hussein (ce dirigeant impitoyable qui faisait trembler tout le monde) n'a pas pu empêcher l'occupation de l'Irak par les Américains. Ils oublient que dans les deux guerres mondiales, ce sont les civils qui ont été mobilisés par millions pour aller se battre au front, que ce soit en Allemagne, en Russie, en France ou ailleurs. Certes, nul ne peut nier que le rôle de l'Armée est de protéger les frontières du pays et veiller à sa sécurité, mais ce n'est pas le seul garant. L'ultime garant est toujours le peuple dans son ensemble et il est grand temps que les armées du monde arabe le comprennent pour que nous sortions définitivement de l'ère des coups d'Etat répétitifs et de la tutelle de l'Armée sur le peuple, dont notre Constitution dit pourtant clairement qu'il est la source de tout pouvoir et que la souveraineté nationale lui appartient exclusivement (articles 7 et 8).