Je voulais initialement parler de la pluie et du bon temps. Du temps qu'il fait ! Du temps qui passe ! On ne finit jamais de parler du mois de mars, de ses sautes d'humeur, de ses caprices et de ses surprises météorologiques. Ne dit-on pas qu'il est le mois des fous ? Parce qu'on n'y voit aucune logique. Aucune raison. Aucun aboutissement. Je pensais tenir le bon sujet, jusqu'à ma lecture d'un papier intitulé : «La solitude d'un Premier ministre», in Le Soir d'Algérie du 12 mars. Cet article m'a interpellé, à plus d'un titre. Bien sûr, je ne peux pas me mettre à la place de notre Premier ministre, parce que je n'y suis pas. Je ne voudrais pas y être. Sauf que je voulais savoir ce que pouvait être la «solitude d'un Premier ministre». Existe-t-elle vraiment ? En souffre-t-on ? Je ne sais pas. En voulant le savoir, j'ai fait agir ma petite tête. Je me posais la question de savoir ce que pouvaient être «nos» solitudes. A chacun sa solitude, n'est-ce pas ? Voyons voir ! Que peut être la solitude de ce balayeur de rue qui, quelle que soit l'humeur du ciel, poussant sa poubelle à roue, ramassant mégots, boules de chique, kleenex, épluchures, feuilles de journaux, gobelets..., sans que personne y prête attention. Il est là, ce balayeur des rues, présence à peine visible des passants, le dos courbé, tirant son machin à roue et faisant en sorte de rendre propre une rue dégueulassée par nous tous. A quoi pourrait-il penser notre balayeur ? A une fin de mois impossible ? Au kilo de sardine qu'il ne peut s'offrir ? Aux charges fixes (loyer, gaz, électricité...) ? Sa solitude, bien sûr, est différente de celle de notre Premier ministre ; mais ça reste tout de même une solitude. Bon, voyons voir : que peut être la solitude d'un chômeur qui n'espère aucun job, sinon cette envie inextinguible de foutre le camp d'ici. Dans une flouka pourrie. En brûlant une frontière. A la nage, voire. Sa solitude a la teinte d'une journée qui refuse de passer. Une journée longue qui s'étire, de l'aube au crépuscule. Alors, notre chômeur est là, un café jetable (une trouvaille algérienne, le café jetable !) à la main, un paquet de clopes, ou un sachet de chemma, assis généralement à des endroits stratégiques pour mieux zieuter le monde et, le soupir en bandoulière, il tresse les secondes aux minutes pour en faire une journée merdique, fourbissant un rêve qui vaut des milliards. Chaque journée en appelle une autre. Et ainsi de suite jusqu'à l'usure ! Un chômeur qui n'espère plus aucun job existe bel et bien ; il court les rues en Algérie. Voyons voir : un médecin ressent-il un semblant de solitude ? Un médecin ! Tbib, ya kho ! Elle est là la solitude du toubib qui ne peut soigner comme il faut son malade, parce qu'il n'y a pas tel produit ou tel autre. Qui ne peut décider d'un diagnostic, parce que le scanner est en panne. Parce qu'il n'y a pas de clichés. Qui ne peut se faire une idée de la suite à donner, parce qu'il n'y a pas de réactifs au laboratoire de l'hôpital. Parce qu'il n'y a pas de lit libre pour hospitaliser son patient. Parce qu'il faut se partager tel ou tel autre appareil. Parce qu'il n'y a pas de stéthoscope. Parce que la salle d'auscultation est dans une saleté repoussante. Parce qu'il y a trop de malades. Parce que l'hôpital couvre plusieurs wilayas. Parce que l'environnement est étouffant. Existe-t-elle vraiment la solitude du médecin ? Je pense que oui. Le seul port de la blouse blanche, par les temps qui courent, propose une immense solitude. Je reviendrai un peu plus loin à la solitude de notre Premier ministre. Voyons voir : que pèse la solitude d'un poète ? Oui, on peut la rapporter à celle de notre Premier ministre, il n'y a aucun souci. D'aucun ordre ! Un poète, le pauvre, oui, le pauvre, court à n'en plus pouvoir, à en perdre le souffle, derrière sa muse de quelque nature qu'elle soit, juste pour lui soutirer un vers. Une métaphore. Une sonorité. Ou, tout simplement, un désaveu. Sa solitude est immense, parce qu'il est tapi à l'ombre de sa solitude, pour quêter une once de lumière. Justement, c'est la lumière qui lui manque le moins. Car, ensuite, il faut trouver l'éditeur qui prendra, de nos jours, le risque de publier ce qu'il est convenu de nommer, n'ayons pas peur des mots, la résultante d'une solitude mal embouchée. Mais, mon cher, pourquoi tu t'entêtes à écrire de la poésie ? Personne ne lit plus ce genre d'écriture. Dès lors, la solitude du poète se transforme en torture physique. N'est-il pas préférable de jeter cette solitude aux orties ? Peut-être ! Mais comment faire ? Un poète peut-il décider du jour au lendemain de mettre sa solitude au rebut ? Alors qu'un Premier ministre peut juste prendre sa belle plume et rédiger une démission en bonne et due forme ; là, il jettera aux oubliettes sa solitude. Le poète voudrait bien démissionner ; ce n'est pas l'envie qui lui manque, ni le style ! Il peut la rédiger en alexandrins, s'il l e faut ! Mais à qui doit-il la transmettre ? A lui-même ou à sa muse ? Dès lors, il trempe toujours sa plume dans l'encre de solitude, pour justement domestiquer sa solitude. Et tenter d'amadouer sa muse. Vaste chantier ! Comme disait ma grand-mère : «Hada mektoub Rebbi !» C'est juste grand-mère ! Tes paroles sonnent dans ma mémoire, comme une inoubliable récitation. Tes paroles ont désormais valeur de vérité absolue. Mais comment est la solitude d'un fellah ? A-t-elle les couleurs des quatre saisons ? Ou faut-il mettre en évidence les couleurs de l'été, saison des moissons ? Et la solitude d'un garçon de café ? Et celle d'un dépressif ? Et celle de la femme au foyer ? Et celle de l'adepte de Bacchus ? Et celle du journaliste, oui, celle du journaliste ? Mektoub Rebbi, oui grand-mère ! Sauf que notre Premier ministre qui, dit-on, «s'est isolé, y compris au Palais du gouvernement, coupé de ses collaborateurs et confiné dans son bureau où il travaille seul, accomplissant lui-même y compris les gestes (comme la frappe des documents par exemple) incombant à son secrétariat». J'ai les larmes aux yeux. Wallah, je compatis. Tout ça ! Sur le dos d'un seul homme ! Le bon sens politique voudrait que tout Premier ministre, dans cette situation de solitude carnivore, devrait remettre le tablier, illico presto. Sans attendre une quelconque décision présidentielle. Cette petite voix, un brin coléreuse, me chuchote : «De quoi tu te mêles ? S'il a des épaules solides, pourquoi voudrais-tu qu'il saute le pas ? S'il a des nerfs d'acier, pourquoi voudrais-tu qu'il arrête sa réclusion ? Un Premier ministre, ça ne démissionne pas ; ça se laisse débarquer ?» Un dicton de chez nous répond bien à mon questionnement : «A nruh, qbel a nimsus !» (N'attendez pas que je vous traduise vers le français, ni vers aucune autre langue ; tamazight est officiel, amnésiques que vous êtes !). Néanmoins, je reste dubitatif devant la solitude de notre Premier ministre qui est parti, revenu, parti, pour revenir. Alors, c'est quoi cette solitude ? Elle est voulue. Et assumée. Je ne vois que cette vérité. On a les moyens de nos solitudes. Ou pas ! Par conséquent, beaucoup d'Algériens voudraient vivre cette solitude au Palais du gouvernement. Vous verrez bien, si jamais il y a changement du gouvernement, on en parle ces derniers jours, il y aura foule au portillon. Alors, point de solitude, mes frères ! Y. M.