Fin de parcours pour Abdelaziz Bouteflika. Arrivé au pouvoir le 27 avril 1999, lors d'une élection présidentielle dont il a été l'unique candidat, l'homme est parti le 2 avril 2019 sous la pression de la rue et de l'armée. Tarek Hafid - Alger (Le Soir) - Après vingt années de règne sans partage, Abdelaziz Bouteflika a fini par démissionner. Etrange destinée que celle de cet homme qui abhorrait le principe de la démission. Né à Oujda le 2 mars 1932, il intègre les rangs de l'Armée de libération nationale aux côtés du très influent Houari Boumediène. A l'indépendance, il est nommé ministre de la Jeunesse et des Sports puis ministre des Affaires étrangères suite à l'assassinat de Mohamed Khemisti. En 1965, il participe activement au coup d'Etat contre le président Ahmed Ben Bella. C'est à la tête de la diplomatie algérienne qu'il se forge un personnage d'homme du monde et de dandy. Il marque les esprits lors d'un discours prononcé en 1974, lors de la 29e session des Nations-Unies. Mais le décès de Houari Boumediène précipite sa chute. Il ne sera pas son héritier, les puissants officiers supérieurs de l'Armée nationale populaire lui ayant préféré un des leurs : Chadli Bendjedid. S'ensuit une longue traversée du désert marquée par une condamnation de la Cour des comptes pour détournement de fonds de plusieurs ambassades et par un exil forcé en Suisse et aux Emirats arabes unis. Durant cette période, il cultivera un sentiment duquel il tirera toute sa force : la vengeance. Une première opportunité s'offre à lui en 1994 alors que l'Algérie fait face au terrorisme islamiste. Le poste de chef de l'Etat lui est proposé. Effrayé par la mission, il ne donne pas suite et préfère rejoindre son exil genevois. Patient, il saisira sa seconde chance en 1998 lorsque le Président Liamine Zeroual annonce sa démission. Il est élu le 27 avril 1999 lors d'un simulacre de scrutin dont il est l'unique candidat. Hocine Aït Ahmed, Mouloud Hamrouche, Taleb Ibrahimi, Youcef Khatib, Mokdad Sifi et Abdellah Djaballah laissent le champ libre au «candidat du consensus». Abdelaziz Bouteflika n'en a que faire. Il voulait le pouvoir, il l'a eu et ne le lâchera pas. Son premier mandat il le consacre à asseoir sa notoriété de sauveur, de celui «qui est venu réhabiliter dans le concert des Nations». Il fait sien le projet de «Concorde civile» que lui a légué son prédécesseur Liamine Zeroual. Grand tribun, il impressionne l'opinion publique algérienne qui l'identifie à Houari Boumediène. Ses relations avec les militaires deviennent très tendues. Il attaque publiquement les généraux en les traitant de « quinze chats qui tiennent le commerce extérieur ». Les tensions avec l'état-major de l'armée s'exacerbent vers la fin de son premier mandat. Il réussit à se faire réélire en avril 2004 face à son ancien chef de gouvernement, Ali Benflis. Ce dernier crie à la fraude, en vain. Bouteflika entame son second mandant plus fort que jamais. Il commence par éjecter le chef d'état-major de l'ANP, le général Mohamed Lamari et nomme à sa place le général Ahmed Gaïd Salah. Une relation particulière lie les deux hommes : le vieux militaire agit comme un véritable protecteur. Le second mandat a été déterminant. Il a permis à Bouteflika d'imposer son projet de Réconciliation nationale au profit de milliers de terroristes. Profitant de la hausse des prix des hydrocarbures, il lance de nombreux projets. La corruption explose dans tous les domaines. Mais il veut encore plus. En 2008, il parvient à faire sauter le verrou de la limitation des mandats en amendant la Constitution et se faire réélire en avril 2009. Le 8 mai 2012, lors d'un discours prononcé à Sétif, il lance son fameux « tab jnani », laissant ainsi entendre qu'il ne se représentera pas. Une année plus tard, il est victime d'un AVC. Mais soutenu par le général Ahmed Gaïd Salah, il parvient encore une fois à se faire réélire pour un 4e mandat. Affaibli par la maladie, il ne dirige quasiment plus. C'est en fait son frère Saïd qui est le plus souvent aux commandes, usant et abusant du sceau de la République. Mais la situation économique devient désastreuse suite à la chute des prix du pétrole. Durant l'année 2014, le clan présidentiel développe plusieurs plans pour rester au pouvoir. Le FLN, le RND, TAJ et le MPA servent de béliers pour un passage en force et tentent d'imposer un 5e mandat. Un facteur n'avait cependant pas été pris en compte dans cette stratégie : le refus du peuple algérien de cautionner ce mandat de trop. Le Mouvement populaire pacifique qui a pris forme à Kherrata et à Bordj-Bou-Arréridj finira par exploser le 22 février. Il aura suffi de 6 semaines pour mettre un terme définitif au parcours d'un clan guidé par un homme malade. Le 2 avril, Ahmed Gaïd Salah a ouvert la petite porte pour permettre à Abdelaziz Bouteflika de quitter le palais d'El Mouradia. T. H.