Fulgurante et inattendue, la disparition précoce du cinéaste Cherif Aggoune endeuille, depuis mardi, le monde du cinéma. Décédé des suites d'un malaise cardiaque à Paris, il avait soixante-huit ans. Cinéaste mais aussi fervent cinéphile et amoureux des arts, Cherif Aggoune est l'auteur de quatre films réalisés entre 1991 et 2013. Contrairement à une erreur courante, c'est bien lui et non Abderrahmane Bouguermouh qui donna au cinéma le premier film en langue kabyle. Il le rappelait d'ailleurs souvent : «Taggara n'lejnun» (La fin des djinns), un court-métrage de 22 minutes, sort en 1990, quatre ans avant « La colline oubliée ». Sorti des oubliettes il y a quelques années et désormais disponible sur Youtube, ce film, à la fois frugal et puissant, met en vedette le très jeune acteur Nadjim Mokrane dans le rôle d'un enfant de la guerre de Libération. Le petit garçon a six ans en 1954 et c'est sa voix, devenu adulte, qui nous raconte cette étonnante histoire d'un hameau déshérité où règne une vie simple marquée par les légendes et les départs vers l'exil. La vie quotidienne de l'enfant s'écoule paisiblement entre école coranique, balades dans les champs, bagarres et farniente insouciante. Mais les contes et les mythes qui ont toujours façonné l'imaginaire berbère auront sur lui un effet considérable, notamment cette histoire de djinns qui encerclent pour ainsi dire son village ; ils habitent le cimetière, le grand frêne, la forêt, le maquis… tandis que la route goudronnée en contrebas est réservée aux «roumis». Sélectionné au Festival international de Clermont-Ferrand, «Taggara n'lejnun» est, au-delà de son statut de pionnier, une pépite cinématographique dans la pure tradition du néo-réalisme. En 2011, Cherif Aggoune réalise le documentaire «Tlemcen l'andalouse» pour le compte de la manifestation «Tlemcen, capitale de la culture islamique» et deux ans plus tard, sort son premier long-métrage de fiction «L'héroïne» avec Samia Meziane, Khaled Benaïssa et Arslane dans les rôles titres. Il y revient sur les blessures des années du terrorisme à travers l'histoire d'une veuve courageuse, mère de trois enfants, qui transforme son chagrin et sa colère en résistance et décide de devenir photographe et de braver la terreur intégriste. Le dernier film de Cherif Aggoune remonte à 2015 : le documentaire «Rocher Noir» révèle les dessous troubles du référendum pour l'indépendance et déterre une personnalité historique méprisée par les manuels officiels. Abderrahmane Farès est en effet au centre de cette épopée passionnante qu'était la reprise en main par les Algériens de l'administration et l'organisation d'un vote majeur dans un contexte marqué par les attentats de l'OAS et le début des luttes fratricides au sein du FLN. Originaire de Oued Ghir à Béjaïa, Cherif Aggoune entamera ses études supérieures à Alger où il sera diplômé en physique. Il part pour Paris dans les années 1970 et y mène avec succès des études de cinéma à l'ESEC (Ecole supérieure d'études cinématographiques). Au début des années 1980, il revient en Algérie et intègre la télévision publique en tant que premier assistant-réalisateur. S. H.