Loin du sable de cette plage sans prétention, deux corps sans vie ont été repêchés par les plongeurs de la Protection civile. Le premier est celui d'un jeune qui n'a pas eu la chance de ses deux autres compagnons, héroïquement sauvés de la mort par ce brave Belkacem. Déterminé mais au bout de ses forces, tenace mais usé par l'effort, Belkacem n'a pas pu terminer sa merveilleuse entreprise humaine. Il mourra avec celui qu'il voulait ramener à la vie. L'histoire aurait pu se terminer autrement mais les histoires de bravoure et de don de soi n'ont pas toutes une fin heureuse même si elles inspirent les mêmes sentiments. Sur cette plage dont on a du mal à retenir le nom, trois jeunes hommes se baignaient. Ils n'étaient pas trop loin du rivage pour inquiéter mais assez pour provoquer le pire. Le pire n'a parfois pas toujours besoin de grandes folies pour frapper. La bravoure et la force des bras de Belkacem n'ont pas suffi pour sortir trois jeunes têtes encore pleines de rêves de la noyade qui les prenait en étau entre deux vagues et une vague étourderie d'ados nonchalants. Belkacem ne s'est pas posé de questions, il y est allé avec l'élan du cœur et du corps. Il n'a pas eu le temps, ni de penser au danger qu'il allait braver ni aux glorioles qu'il pouvait en récolter. Ils sont comme ça, les gens comme lui, ils n'attendent rien en retour. Ils y vont simplement et humblement. Ceux qui attendent les retours d'ascenseur n'y vont pas, ou on est brave et courageux ou on est calculateur. Lui n'a même pas calculé la distance entre la vie et la mort de trois hommes en appel de détresse. Quelque part sur un pan de mer passablement agitée, un jeune homme, au sourire désarmant, est mort en sauvant deux inconnus. Enfin, « inconnus», le mot est malvenu. Chez les braves, dans la tête de tous les Belkacem de Bouharoun et d'ailleurs, il n'y a pas d'inconnus, il n'y a que des êtres humains qu'on ne peut pas laisser mourir sans la réaction d'Homme. Il y a une semaine, le monde d'Algérie découvrait Belkacem dont ils n'ont appris qu'un prénom, un âge approximatif, un cœur gros comme ça. Le monde Algérie, à la périphérie de Tipasa, au loin dans le prolongement des plaines, par monts, par vaux et dans le fin fond du désert, est encore ému. Belkacem a sauvé deux vies, la troisième a eu raison de sa résistance de fer. C'est son corps à lui qu'on a retrouvé en dernier mais il n'y avait déjà plus d'espoir. L'espoir, c'est sa mort pour l'autre qui va en entretenir la flamme. Quelque part entre bleu azur et mont Chenoua sous le regard, en hauteur, de Séléné qui veille au grain. Belkacem dort depuis avant-hier du sommeil des braves. S. L.