Sabri Boukadoum a été dépêché, hier vendredi, à Bamako par le Président Abdelmadjid Tebboune. Objectif : s'enquérir de visu de la situation née du coup d'Etat du mardi 18 août dernier, et réitérer la solidarité de l'Algérie avec le peuple malien dans les moments difficiles. En effet, c'est le branle-bas de combat diplomatique autour des auteurs du coup d'Etat militaire contre le Président Ibrahim Boubacar Keïta, élu en 2013. Après sept ans de pouvoir, son régime, dont attendaient beaucoup les Maliens, a fini dans un cul-de-sac. La crise politique s'installe dans un contexte marqué par des manifestations populaires, une opposition déterminée à en découdre avec IBK, et une insécurité endémique dont personne ne peut prédire le dénouement. L'intervention de la Cedeao (Communauté économique des Etats de l'Afrique occidentale), dont fait partie le Mali, n'a pas réussi à aplanir le différend et a aggravé la situation. Résultat : le Mali est devenu un bateau ivre à la merci des vents déstabilisateurs qui soufflent au Sahel, aux prises avec les groupes terroristes islamiques, les marchands d'armes et les trafiquants de drogue transfrontières. Exaspérés tant par le blocage politique que n'a pas su désamorcer IBK, que par les risques de dérapage, les militaires maliens, confrontés aux attentats meurtriers permanents, envahissent l'espace public et poussent, sans ménagement, le chef de l'Etat à présenter sa démission à la télévision. Ce coup de force aura pris de court tout le monde, opposition et observateurs étrangers et, surtout, les médiateurs de la Cedeao d'autant que les statuts de l'Union africaine condamnent cette méthode de prise de pouvoir. Les condamnations pleuvent sur des putschistes qui doivent y faire face, surtout qu'ils n'ont aucune expérience de la gestion de ce genre de crise. S'ils proclament, dès le 8 août, que leur but est d'éviter le chaos au pays et qu'ils font leurs les revendications des manifestants, ils laissent entendre clairement qu'ils ne quitteront pas le pouvoir, proclame un des leurs, président à la tête d'un gouvernement majoritairement militaire. Ils promettent l'organisation d'élections dans la phase transitoire de sortie de crise politique. Devant les pressions extérieures, ils vont ainsi multiplier les gestes d'apaisement avec, notamment, la libération d'Ibrahim Boubacar Keïta, désormais assigné à résidence dans la banlieue de la capitale Bamako. Les émissaires de la Cedeao sont reçus sans trop d'insistance et sont même conviés à des négociations, mais sans ordre du jour préalable. Menés par l'ancien Président nigérian Goodluck Jonathan, ceux-ci n'ignorent pas que leur face-à-face avec les militaires est ardu. Les menaces d'exclusion du Mali de l'organisation et son boycott sont, visiblement, insuffisants pour faire reculer les jeunes colonels. IBK, quant à lui, prend acte de son éviction définitive de la tête de l'Etat et affirme ne plus désirer revenir au pouvoir. Par contre, il mettra un point d'honneur – comme une lettre d'adieu – à appeler ceux qui l'ont renversé à tourner la page des éternels ministres des années 1991 et d'être à l'écoute du peuple malien. De quoi inquiéter sérieusement les apparatchiks devant la perspective de perdre les privilèges octroyés par les régimes successifs. Les jeunes officiers développent la logique d'écoute et ouvrent les portes du dialogue avec l'opposition. Et c'est là une phase inédite à laquelle doivent se conformer toutes les parties – société civile et partis politiques. Le Mali étant un dossier trop sérieux pour ne pas lui accorder toute l'attention qui est la sienne depuis des décennies, le Président Abdelmadjid Tebboune ne veut pas se laisser emprisonner par une clause de l'Union africaine concernant toute prise du pouvoir par un coup d'Etat militaire, au demeurant un modus operandi en soi courant en Afrique. C'est pourquoi il a dépêché, hier vendredi, son ministre des Affaires étrangères Sabri Boukadoum, certainement porteur d'un message des plus hautes autorités du pays, message de la solidarité traditionnelle de l'Algérie envers le Mali. Il faut savoir que l'Algérie partage 1329 km de frontières avec ce pays dans la bande du Sahel livrée à l'insécurité. La stabilité du Mali intéresse donc au plus haut point les dirigeants algériens. Et d'ailleurs, n'ont-ils pas été tout le temps au chevet du Mali, lors du confit Azawad avec la mise en route du processus de l'Accord d'Alger ? Si la position de l'Algérie est aussi connue des colonels maliens, sa réaffirmation en ces moments précis revêt toute son importance, dès lors que c'est le branle-bas de combat diplomatique autour du Mali, pièce maîtresse à valeur stratégique dans cette sous-région saharienne. À un haut niveau, les concertations entre les chefs d'Etat interpellés et intéressés par la situation sont à l'image de l'entretien qu'a eu Abdelmadjid Tebboune avec le Président français Emmanuel Macron, jeudi dernier. C'est la preuve d'une concertation politique régulière entre les deux chefs d'Etat, fortement concernés par les bouleversements à venir dans le pays mandingue. Du reste, les Maliens eux-mêmes affirment que l'Algérie est leur profondeur stratégique naturelle. Quelle réponse vont apporter les pays outre la Cedeao — qui s'est engagée dans une voie sans issue – à l'endroit des jeunes officiers sous la direction du CNSP (Comité national pour le salut du peuple) ? La pression est énorme et les obligations (sous la forme d'accords divers) contractées par les régimes successifs maliens créent une situation qu'il sera extrêmement difficile de gérer pour disposer librement de la souveraineté et de la décision. C'est que les enjeux d'une région sous influence sont incommensurables, la guerre d'influence prend des allures de va-en-guerre entre les rivaux extra-africains. Sur le fil du rasoir, les jeunes officiers maliens savent que toute mesure, déclaration seront passées sous la loupe. S'il est évident que l'on ne peut que prendre acte de la nouvelle donne politique, le tout pour les différents sponsors traditionnels est d'imposer une « normalisation » qui sauvegardera leurs intérêts. Quitte à rééditer l'élimination du Burkinabé Thomas Sankara, ami de l'Algérie qui a fini par être trahi par son compagnon Blaise Compaoré... sur instruction ! Pour un certain nombre de pays de la Cedeao, ce cas malien est très malvenu parce que tout simplement, il risque de faire tache d'huile. En Côte-d'Ivoire, la population est en colère contre Alassane Ouatara qui s'adjuge un nouveau mandat, et elle n'est pas près de se taire. D'autres chefs d'Etat africains sont sur la sellette. Ils le savent. Mais ils ignorent volontairement ou pas que cet « été africain » ouvre une nouvelle phase dans le continent. Bien malin celui qui saura organiser sa succession sans coup férir ? Brahim Taouchichet