Nna Aldjia, la mère du chanteur Lounès Matoub, est décédée à Paris jeudi à l'âge de 89 ans. Si son nom est systématiquement relié à celui de son fils, assassiné en 1998, la dimension artistique de la défunte n'en est pas moins emblématique. Après un long combat contre la maladie, Aldjia Matoub s'est éteinte jeudi dernier dans un hôpital parisien. Selon ses proches, sa dépouille sera rapatriée et inhumée aux côtés de son fils dans la maison familiale à Taourirt-Moussa. Née en 1931, la défunte était à la fois l'archétype de la femme rurale kabyle et le symbole d'une mère-courage dont les vicissitudes de la vie n'ont pu altérer l'endurance et la fierté. Bien avant 1998, année de l'assassinat de son fils dans des circonstances jusque-là opaques, elle incarnait une certaine idée d'une paysannerie féminine quasi-invincible, solidement enracinée et tout aussi transcendante de par son pouvoir de sublimation et de résistance par la poésie. Comme beaucoup de femmes kabyles, Nna Aldjia était une poétesse inspirée : les événements de la vie, dans le malheur ou la joie, le labeur ou le répit, titillaient ponctuellement sa verve et son sens de l'improvisation. Qu'ils soient déclamés ou chantés en «achewiq» (un registre exclusivement féminin), ses poèmes décrivaient et magnifiaient sa vie et celle de son fils plus tard. C'est donc dans le giron de cette mère robuste et talentueuse que Lounès Matoub a puisé ses premières sources d'inspiration et surtout l'aisance de son verbe et la rigueur de sa langue kabyle. Ayant très peu connu son père (émigré qui a refait sa vie en France), le chanteur a grandi comme beaucoup d'enfants de sa génération à l'ombre de cette figure centrale qu'est la mère. Il ne l'oubliera d'ailleurs jamais : Nna Aldjia sera omniprésente dans ses chansons, en tant que muse mais aussi en tant que partenaire de chant sur certains titres. Ainsi, on a pu entendre sa voix et admirer ses «achewiq» sur deux albums. Elle est également montée sur scène avec son fils à de nombreuses occasions. Depuis l'assassinat de Lounès Matoub, sa mère n'a jamais abandonné sa quête de vérité sur les circonstances de cette tragique disparition survenue le 25 juin 2018. Elle s'est, entre autres, illustrée lors du procès ayant condamné Malik Majnoun (qui n'a cessé de clamer son innocence et de crier à la machination) : Nna Aldja l'avait alors publiquement défendu en exigeant «les vrais» coupables. En dépit de son âge avancé, elle était aussi présente aux innombrables galas d'hommage au chanteur où elle montait régulièrement sur scène pour déclamer et chanter son deuil impossible et sa soif de justice. Elle était ainsi la mémoire vivante d'un matrimoine kabyle infiniment riche, mais aussi un personnage charismatique à travers lequel son fils continuait à vivre, trente ans après son assassinat. S. H.