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M. Max ou le portrait d'une génération
Publié dans Le Soir d'Algérie le 22 - 11 - 2020

C'était en 2016. Pour les besoins d'un documentaire sur l'histoire de travailleurs algériens en France racontée à travers les cafés, nous cherchions des personnages. Nous en avions parlé autour de nous. Hacène Hirèche nous proposa celui que tous ses proches appelaient Monsieur Max. «Il a été responsable FLN dans l'est de la France pendant la guerre.» Il s'appelait en réalité Belaid Feddag. Il était, au moment où nous devions le rencontrer, président de l'association des Ouadhias en France.
Notre rencontre ne fut pas banale. Le gars était dense, il avait de la présence, comme on dit. Son visage sévère, taillé dans la roche du Djurdjura, s'illuminait parfois d'un sourire. Mais, en général, on sentait chez lui une sorte de solennité vigilante. On aurait cru qu'il restait sur ses gardes comme pendant la guerre. Mais ce qui était frappant chez lui, dès qu'il prenait la parole, c'était son talent de conteur. Il avait le sens du détail précis et pléthorique, celui de la digression contrôlée, un débit rythmé sur l'horloge de son auditoire. Que ce soit lors des repérages, ou durant le tournage, nous sentions qu'il outrepassait, et de loin, ce que nous attendions de lui, mais il était si passionnant que nous écoutions jusqu'au bout son récit.
Le résultat, c'est qu'il crève l'écran. La sortie du documentaire, et les invitations aux débats, avaient été pour lui à la fois une façon de revivre ce passé glorieux sur lequel il avait mis l'embargo et surtout de le transmettre à ses enfants. Son fils nous avoua qu'il ne savait rien du combat de son père et qu'il n'en aurait peut-être rien su si sa trajectoire n'avait pas rencontré le documentaire.
Le summum de ce pèlerinage dans le passé offert à sa famille fut une projection à Villerupt, en Moselle, à quelques kilomètres de Longwy où il fut responsable du FLN pour la ville. Nous lui avions demandé de revenir sur les lieux de son combat et il en avait profité pour montrer pour la première fois à sa famille tous les endroits où s'était déroulée sa jeunesse militante.
Belaid Feddag a été emporté par la Covid, il y a quelques jours. Pour prolonger un peu sa transmission, nous lui cédons cette place pour publier un résumé de son parcours si emblématique d'une génération qui a libéré l'Algérie du colonialisme. Cette génération alliait idéalisme, dévouement et courage. Elle était faite de bâtisseurs d'espoir.
Voici donc une petite partie de ce qu'il nous raconta, en guise d'hommage et de remerciements :
«En 1956, les militaires français avaient évacué le village des Ouadhias près de la montagne où le FLN trouvait refuge. Le commissaire de la SAS, Jacotte, avait été tué et son corps jeté sur un terrain de ma famille. Le lendemain, on voit un convoi monter vers le village.
De peur du viol, les jeunes filles avaient quitté leur maison pour se réfugier dans le village voisin. Tous les hommes au-dessus de 16 ans ont été raflés.
Moi, j'avais 15 ans et je paraissais plus jeune. Nous avions tous une malformation, j'étais rachitique. Toute la nuit, les hommes ont été torturés. On vivait dans la peur. Cela a duré un mois. Puis ils sont partis en emmenant avec eux 120 personnes dont mon frère. Ensuite, ils nous ont intimé l'ordre de quitter le village avant 18 heures. Ils nous ont donné 2 heures de temps, faute de quoi tout le monde serait mort. Donc chacun a couru prendre ce qu'il a pu. Moi, je me suis précipité pour prendre mon burnous. Ma mère a ramassé le peu qu'on avait. On a quitté le village.
Mon grand frère était en France, à Longwy, dans la sidérurgie. Je suis arrivé à Orly le 26 septembre 1957, tout seul. On avait acheté une valise en carton et ma mère m'y avait mis des beignets.
Je devais me rendre au café-hôtel du beau-père de mon frère. Dès le premier jour, je me suis fait voler par le taxi. Je débarque à Paris, je ne sais pas ce que ça veut dire un café, un hôtel. Arrivé chez le beau-père de mon frère, je n'avais pas de vêtements, rien que des beignets. On ne savait pas que la brosse à dents existait, que le dentifrice faisait partie du monde.
Le matin, je me réveille. Un petit déjeuner comme je n'en avais jamais vu, café au lait, croissant – je ne savais même pas ce que c'était un croissant —, nous ; on voyait le pain une fois par semaine, quand on avait de l'argent pour en acheter.
Et puis les gens de chez nous voulaient des nouvelles de leur famille. Et moi, je connaissais tout le monde. J'essayais de me faire admettre par la communauté. Chacun me donnait un billet de 1 000 francs. Et me payait le repas.
Puis mon frère m'a emmené à Longwy. C'est là que la misère a commencé. Il habitait le foyer. Il entretenait de mauvaises relations avec le responsable qui, pour se venger, ne m'avait pas accepté. Le jour je pouvais rester, mais le soir je devais quitter le foyer.
Mon frère m'a alors trouvé une petite chambre avec un cousin qui m'avait fait un petit lit dans un coin mansardé. Il faisait froid. J'avais des grandes chaussettes en laine, caleçon long, chemise, pull col roulé, pantalon en velours, et même comme ça j'avais froid. Je rentrais dans mon lit et les draps étaient trempés à cause de l'humidité. Le matin, je ne pouvais pas me laver, il n'y avait pas de robinet mais un bidon d'eau qui gelait.
J'ai été embauché comme mousse de bureau, coursier, au service des hauts fourneaux. J'étais le plus instruit dans notre village, j'avais eu le certificat d'études. J'avais même été reçu à l'examen de 6e. À Longwy, je prenais des cours du soir, français, calcul, dispensés gratuitement.
La guerre faisait rage. Au foyer, je lisais le journal Franc-tireur pour tout le monde. Je le traduisais en Kabyle. Je ne mesurais pas l'impact de la guerre. J'avais 16 ans mais je raisonnais comme un garçon de 12 ans.
Un an après, en 1958, j'ai pu avoir une place au foyer. Là comme en ville, il y avait le FLN et le MNA. On commençait à s'entre-tuer entre nous.
En 1960, j'ai été approché par le FLN. Je faisais du sport, j'étais jeune, et ils m'ont choisi comme chef de kasma. J'avais 86 personnes à gérer. Il fallait encaisser l'argent tous les mois, à chaque fois qu'il y avait la paye. J'étais le seul bien instruit dans le foyer. On parlait français, mais on ne maîtrisait pas l'écrit.
On était en pleine «guerre MNA contre FLN. Presque tous les jours, il y avait 3 morts. À Longwy, il y avait énormément de dégâts. Un jour, les gens du MNA se sont aperçus que c'était moi le responsable du FLN. Les MNA m'attendaient à une porte. Et puis quelqu'un est venu au laminoir me le dire. A cette époque, je travaillais dans les laminoirs, car à 18 ans, j'ai quitté le bureau. Il m'a laissé 5000 francs et il m'a dit « surtout ne sors pas ni par la porte A, ni par la porte B parce que tu es attendu là-bas.»
Je suis parti en Allemagne, puis j'ai regagné Paris. J'ai été embauché par la RATP. Un jour, trois gars du FLN sont arrivés et ont demandé à mon beau-père, s'il me connaissait et où je me trouvais. Ils ont dit : «Ce soir on le descend à la cave.» Et chez nous quand on dit « descendre à la cave », c'est soit la torture, soit le bois de Boulogne et vous êtes mort. Pour les gens de Longwy, je m'étais sauvé, j'avais abandonné mon poste. «C'est le frère de mon gendre, je peux me porter garant», a dit le beau-père. Comme à ce moment-là le patron d'un café c'était une personnalité, c'était là où on se réunissait, ils ont accepté de me donner un délai de 24 heures. Je suis parti immédiatement à Longwy chercher un laissez-passer prouvant que je n'avais pas déserté.
Le 5 juillet 1962, je suis rentré en Algérie. Tout le monde manifestait pour l'indépendance. Mon frère, qui sortait de prison, manifestait juste devant moi. Dans les cafés d'Alger, j'ai cherché du travail. J'ai travaillé dans une société comme employé aux écritures. Puis comme opérateur radio. Puis...
En 1974 je suis revenu en France. J'ai été contraint de faire de l'hôtellerie. Le choix, c'était taxi, faire les marchés ou aller vers l'hôtellerie. C'étaient les trois grandes activités des Algériens, kabyles en particulier.
Mon beau-père ayant un hôtel-restaurant, j'ai appris à servir en salle. Puis il m'a acheté un café et en mai 1976, j'ai définitivement quitté mon travail à Alger. En 1977, j'ai racheté un bar rue du Faubourg-Saint-Denis, puis plus tard une brasserie gare du Nord. C'était un café français. »
La magie de l'image nous rendra Monsieur Max toujours présent. Et avec lui le témoignage d'un passé que les jeunes générations ne devraient jamais ignorer comme un message d'espoir. Ayant fait son devoir de militant pour l'indépendance de son pays, Belaid Feddag n'a pas converti cet engagement en capital vénal puisé de la rente symbolique. C'est pourquoi, c'est tout naturellement qu'il a senti que le Hirak était la continuation du combat de sa jeunesse.
A. M.
P. S. : mes sincères condoléances à sa famille et à ses proches.


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