La plasticienne Maya Benchikh El Feggoun (alias El Meya) expose jusqu'au 10 avril à l'espace Rhizome. «Oumlil» regroupe une dizaine de toiles et autant de croquis autour des thèmes de prédilection de l'artiste, à savoir : le corps, le rite et les représentations de l'intime. Maya Benchikh El Feggoun est l'une des artistes les plus singulières de sa génération. À travers ses expositions, rares mais toujours percutantes, elle questionne et détourne l'héritage iconographique et mystique de sa société pour l'inscrire dans une perception résolument contemporaine. Les acryliques, aux dimensions spectaculaires, exposées à l'espace Rhizome nous renvoient en effet vers cette univers qui n'a cessé de caractériser le style de l'artiste, où la palette chromatique chaude et quasi-enfantine jure avec un langage pictural inquiétant et parfois épouvantable. Le spectateur peut en effet être dérouté par la superposition de deux sensations contradictoires : d'abord, celle induite par le premier regard, appréhendant innocemment un mélange «inoffensif» de couleurs et de formes évoquant presque des dessins d'enfant ; ensuite, le deuxième regard, plus approfondi, scrute l'ensemble de la toile et la jonction de ces éléments qui révèle une toute autre atmosphère où des personnages impassibles jouent une pièce lugubre chargée de symboles, de scènes sacrificielles et d'images étranges. Un certain malaise s'installe alors dans le regard du spectateur qui se voit assailli par une liturgie morbide évoquant confusément des souvenirs d'enfance, des rituels ramenés à leur violence originelle, des rapports sociaux reconstitués dans la nudité de leurs symboliques écrasantes, un érotisme quasi-malsain... Et au final, ce même spectateur assiste à l'inversion des rôles et se voit lui-même regardé, toisé, par les toiles d'El Meya ! Dans ce huis clos oppressant où s'entremêlent les humains et les bêtes et où se confondent le visible et le dissimulé, Maya dissèque un monde à la fois secret et omniprésent dans l'inconscient collectif. Un territoire sensoriel dont l'emprise sur la vie des individus est difficile à cerner, si ce n'est en forçant les non-dits et les zones grises à s'incarner et à venir vers la lumière. D'où le titre de l'exposition, «Oumlil», le nom berbère de la Méditerranée mais aussi «Oum Lil» ou la mère de la nuit en arabe. «Le projet Oumlil est à la jonction d'une approche anthropologique sur les rites, les mythes, le sacré, et de réflexions esthétiques sur la représentation des symboles, sur les limites de la représentation de la sexualité, du corps, de la violence, de la mort... ce qui lui confère cette énorme charge transgressive. Il y a quelque chose de performatif dans cette prise de risque», écrit l'historienne Anissa Bouayad dans l'un des textes composant le livre de l'expo, proposé à la vente. La psychanaliste et autrice Karima Lazali suggère quant à elle de voir les œuvres de Maya comme «une traversée dans une série de questions qui nous regarde en tant que sujets. Pour cela, nous nous risquerons à forcer quelques associations entre les différents tableaux pour en dégager une lecture qui porte et relie des registres multiples : la différence des sexes, le corps érotique, l'enfant, l'animal et enfin le féminin». S. H.