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L'Emir Abdelkader était-il franc-maçon ?
Publié dans Le Soir d'Algérie le 26 - 07 - 2021


Par Kamel Bouchama, auteur
Avant d'aborder cette question malaisée dans l'esprit de nombreux Algériens – parce que la franc-maçonnerie est considérée, jusqu'à l'heure, comme un sujet importun, voire même comme une secte versant dans l'athéisme –, il y a lieu d'émettre quelques points de vue d'intellectuels qui ont travaillé le sujet et tiré des conclusions concernant la position de l'Emir vis-à-vis de cette organisation qui a rayonné et s'est imposée dans le monde. Ainsi, pour entamer le sujet de savoir comment l'Emir Abdelkader a eu des contacts avec la franc-maçonnerie, allons directement vers les deux principales occasions qui ont été à l'origine de relations, on ne peut plus éphémères, avec cette organisation connue comme étant un «ordre initiatique traditionnel et universel fondé sur la fraternité».
La première occasion est purement accidentelle(1), lors de son transfert de l'Algérie vers la France. Et c'est là où, parmi toutes les personnalités représentatives de la société française qu'il a pu rencontrer, il a constaté que les membres de cette organisation, la franc-maçonnerie, étaient les seuls à évoquer l'immortalité de l'âme, les notions de divinité et de religion. Ces points de vue, il les trouvait en accord avec sa vision soufie et légaliste du dogme islamique.
La deuxième occasion étant celle où, par son acte prestigieux de la défense des chrétiens à Damas et au Liban, il a évité le carnage, entre les Druzes qui étaient manipulés par les Anglais et les chrétiens maronites par les Français, dans le cadre de leur rivalité pour leur mainmise sur le Moyen-Orient. Et c'est à partir de là que le GODF (Grand Orient de France) a incité l'une de ses loges à Paris pour entrer en contact avec lui. Un courrier lui a été envoyé, par la loge Henri IV, dont voici le compendium de la correspondance :
«La franc-maçonnerie, qui a pour principes l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme, et pour base de ses actes, l'amour de l'humanité, la pratique de la tolérance et de la fraternité universelle, ne pouvait assister sans émotion au grand spectacle que vous donnez au monde. Elle reconnaît, elle revendique comme un de ses enfants (par la communion d'idées tout au moins) l'homme qui, sans ostentation et d'inspiration première, met si bien en pratique sa sublime devise : un pour tous [...] Alors, là-bas, bien loin dans l'Occident, il y a des cœurs qui battent à l'unisson du vôtre, des hommes qui ont votre nom en vénération, des Frères qui vous aiment déjà comme un des leurs et qui seraient fiers si des liens plus étroits leur permettaient de vous compter au nombre des adeptes de notre grande Institution.»
Ainsi, dans une réponse, datée de janvier 1861, l'Emir y fait part de son désir de mieux connaître la franc-maçonnerie...(2) Il affirme aussi que : «[...] l'amour est le vrai fondement de la religion : Dieu est le Dieu de tous et il nous aime tous.»(3) C'est alors que cette relation épistolaire devient une relation de type dialectique, comme le soutient le Dr Hamza Benaïssa.
Mais poursuivons notre étude sur ces relations qui ont suscité de nombreux commentaires, et allons vers d'autres spécialistes de la question dont Thierry Zarcone (4) qui, d'emblée, le situe ainsi :
«Honni par les tenants d'un Islam rétrograde incapable de se réformer, l'Emir Abd el-Kader n'en finit plus d'intriguer par sa modernité, la générosité de sa philosophie soufie et son souvenir qui perdure dans la franc-maçonnerie. À Tunis, au Caire, Dakar ou Paris, des loges continuent de porter son nom.»
Cet auteur, qui n'est pas dans le registre des moindres anthropologues de l'Islam, veut absolument dans son livre Le Mystère d'Abd el-Kader. La franc-maçonnerie, la France et l'islam et, selon ses intentions, mettre un terme à la polémique sur le fait que ce chantre de la résistance algérienne à la France dans le cadre d'un Etat indépendant en gestation — et non tourné vers la Sublime Porte comme le proposait encore, entre 1830 et 1838, son rival de Constantine, le bey Ahmed — ait pu concilier son adhésion à l'idéal franc-maçon avec la mystique d'un Islam épuré et généreux. «En ce sens, explique-t-il, Abd el-Kader est bien une énigme, à la fois saint de l'Islam et parangon de la rencontre Orient-Occident.» Et il continue en étalant ses convictions, que bon nombre d'Algériens ne veulent partager, encore moins accepter – ayant une persistance à réfuter une quelconque attache – un certain contact de l'Emir Abdelkader avec la franc-maçonnerie. Cependant, l'auteur Thierry Zarcone, de par ses recherches et ses conclusions, affirme qu'il a été contacté par la loge parisienne Henri IV du Grand Orient en 1861 – nous l'avons souligné précédemment –, trouvant dans cette loge de «fraternité fondée sur l'amour», une adéquation avec la philosophie des confréries soufies, la Qâdiriya, dans laquelle il a été élevé, la Shâdhiliya (confrérie égyptienne) et la Naqshbandiyya, dont l'influence s'étend de la Turquie à l'Inde, en passant par le Caucase et l'Asie centrale. Nourri aux préceptes de son maître à penser soufi Ibn 'Arabî, lecteur de Platon et des grands philosophes de l'Islam comme Avicenne, Abd el-Kader fait montre d'une vaste culture et d'une prédisposition à l'ouverture sur le monde. Cette modernité est bien le contre-exemple militant de l'obscurantisme contemporain des islamistes de tout poil. Le nouvel initié n'a rien d'un contemplatif.(5)
La réalité dans ces informations qui ne sont pas dénuées de tout fondement est que l'Emir Abdelkader, comme nous le soutenons tous, a été bel et bien contacté par les grands chefs de la franc-maçonnerie, en tant que grand érudit et leader de singulières actions humanitaires qui ont émerveillé le monde. Parce qu'après le massacre des chrétiens de Damas, cette puissante organisation mondiale, voulant profiter de la situation, s'est adjointe au concert de félicitations et de remerciements qui fusaient de toutes parts à l'égard de l'Emir.
Dans les deux lettres qui lui ont été envoyées en 1860, on sentait une certaine récupération de son geste comme «émanant d'un prétendu idéal maçonnique». Mais l'Emir répond par une lettre de courtoisie, comme à son habitude, et demande des éclaircissements au sujet de la franc-maçonnerie... Il se renseigne sur ce mouvement qu'il conçoit – certainement pas à tort – comme une tariqa spirituelle des Occidentaux, comme l'écrivait Jean-Laurent Turbet.(6)
Et après la demande d'éclaircissements de l'Emir, le «Grand Orient de France» l'implique à adhérer à la franc-maçonnerie avec une allusion «à l'initiation qui vous sera conférée», comme si le fait de demander des éclaircissements augurait son plein accord à rejoindre le mouvement. Ainsi, l'Emir devait répondre à cinq questions... Voyons sa réponse à la dernière question :
- Q : «Comment comprenez-vous la réalisation de la tolérance et de la fraternité ?»
- R : «Quant à la tolérance pour la pratiquer, il ne faut pas combattre le partisan d'une religion et le forcer à l'abandonner par le sabre, par la force. Toutes les Lois divines sont d'accord sur ce point, que ce soit la loi musulmane ou les autres.»
À la suite des échanges épistolaires entre l'Emir et la loge Henri IV, celle-ci, voulant forcer la nature des choses, déclare la cérémonie d'Initiation d'Abdelkader à la franc-maçonnerie, alors qu'il se trouvait dans les Lieux saints de l'Islam, se consacrant à l'oraison du Nom Suprême Allah avec son maître Darqawi Mohamed El-Fassi.
Les responsables maçonniques ont été déçus par l'absence de l'Emir à la cérémonie. L'un d'eux a proféré même des propos racistes à son égard. Il a déclaré toute honte bue : «Les notions de droit, de justice, d'égalité, de réciprocité et même de fraternité sont encore obscures dans l'esprit de l'homme qu'on proclame peut-être avec raison le premier de sa race.»
«Mais l'Emir – comme l'expliquait le Dr Hamza Benaïssa – connaissait les sentiments de la franc-maçonnerie et sa position viscéralement hostile vis-à-vis de l'Islam qu'elle considérait comme une forme de barbarie, et la mosquée du Prophète comme le roc de l'ignorance et du fanatisme. Voilà les véritables pensées d'une organisation qui, traditionnellement, devait avoir des buts spirituels plus clairs, plus francs et plus honnêtes... Ne savait-elle pas que l'Emir Abdelkader était très pointilleux en Islam, et que la science avait dans sa bouche ''une signification singulièrement actuelle'' ? Religieux, mais non fanatique, il disait toujours : ''Il est bon d'être moderne !'' Une liberté d'esprit inimaginable, n'est-ce pas ?... C'était cela l'Islam chez l'Emir, le commandeur des croyants qui ne restait pas enfermé dans sa tour d'ivoire et qui, contrairement à d'autres philosophes, proclamait la supériorité des modernes sur les anciens.»(7)
Quant à la modernité de l'Emir, parlons-en encore. Et Mohamed-Chérif Sahli expliquait dans son livre sur l'Emir qu'elle s'affirmait dans le fait qu'il appréciait hautement l'esprit critique et le défendait contre le principe de l'autorité [...] Egalement, il tendait à stimuler la recherche et l'effort intellectuel à un moment où la culture arabe ne vivait plus que de souvenirs...(8)
N'était-ce pas cette recherche et cet effort intellectuel qui ont fait que de nombreux philosophes dans le monde soient déroutés par le comportement de l'Emir Abdelkader et n'aient pu le comprendre, quand il a défendu les chrétiens de Damas et du Liban, qu'à travers ce prisme déformant la réalité et... la vérité ? En effet «son intervention a été différemment appréciée et mal interprétée par certains : les francs-maçons ont vu dans le sauvetage des chrétiens par Abd el-Kader une œuvre maçonnique, «drapeau de la tolérance face à l'étendard du prophète», alors que pour lui, c'était une action essentiellement musulmane —pratique du horm : protection envers des dhimmis dans une enceinte sacrée»(9).
Cependant, Bruno Etienne maintient à coups d'arguments, sans pour autant vouloir polémiquer, qu'«Abd el-Kader avait évolué vers un cosmopolitisme musulman qui lui faisait négliger sa patrie provinciale au profit d'un Dâr al-Islâm régénéré par l'apport occidental. Cette thèse est défendable lorsque l'on étudie la pensée de l'Emir, ses écrits de maturité et sa vie à Damas, près de la tombe de son maître Ibn 'Arabî».
Enfin, cela étant des points de vue d'écrivains et de théoriciens. On peut les partager comme on peut ne pas les partager. En tout cas, ce que notre esprit peut partager avec ces auteurs, concernant l'Emir Abdelkader, c'est que nous devons mesurer à quel point le contexte a changé depuis son époque, dans tous les domaines, essentiellement dans les domaines politique et spirituel... Donc, «replaçons-nous dans le contexte de l'époque et nous admettrons qu'Abd el-Kader a pu partager l'idéal maçonnique d'alors sans renier sa foi musulmane». Oui, la contextualisation de l'approche maçonnique de l'Emir, il faut en parler encore, et Bruno Etienne relève aussi avec justesse qu'au-delà du rôle que francs-maçons en particulier, et Français en général, ont voulu lui faire jouer, il faut prêter attention «aux projections inconscientes des maçons sur ce grand Homme». Car «à la lecture des récits hagiographiques qui ont mené à la proposition d'admission dans la franc-maçonnerie, il est facile pour quiconque, ayant une connaissance suffisante de la Loi musulmane, de comprendre que les francs-maçons ont projeté leurs valeurs sur l'Emir et que leur compréhension de l'Islam a été limitée...».(10)
En tout cas, pour résumer cet aspect qui, à lui seul, mérite de grandes explications, il faut dire – tout simplement – que l'Emir Abdelkader était pleinement et totalement musulman. Et c'est au nom de l'Islam, qu'il pratiquait, qu'il a associé sa démarche que d'aucuns, parmi les non-musulmans, ont interprétée comme une démarche maçonnique.
Car, devons-nous oublier que l'Emir, en plus de ses dimensions politiques et militaires – et là nous revenons forcément au Dr Hamza Benaïssa et à ses judicieuses explications – a emprunté la voie soufie dès son jeune âge et gravi les échelons de la connaissance de cette Ecole, jusqu'à atteindre le grade de «substitut» (Badil), ce qui lui permettait de s'élever au grade d'Homme universel ? De là, l'Emir voulait, par l'intermédiaire de ce lien avec la franc-maçonnerie, l'utiliser comme support d'un redressement spirituel possible de l'Occident. N'en démontre que sa Lettre aux Français, traduite en 1856 où déjà, et bien avant ses contacts avec la franc-maçonnerie, il leur faisait remarquer, dans un style extrêmement subtil et non moins raisonnable leur étalage de la puissance matérielle de la civilisation occidentale où la notion de divinité est absente.
Ainsi, en tant qu'homme ouvert sur le dialogue, il a eu effectivement, comme déjà annoncé dans des précédents paragraphes, des correspondances avec la franc-maçonnerie..., ce que personne ne peut occulter. Il les a eues, bien sûr, pour des raisons qu'il jugeait essentielles, en tant qu'érudit doublé d'un fin politique et d'un sensible diplomate. Mais, il y en a une des raisons, nécessaire à ses yeux, et au-dessus de tout autre considération que bon nombre d'intellectuels feignent d'ignorer, et qui est très importante. Tout le monde doit comprendre, notamment les jeunes, que l'Emir Abdelkader, cet héros national, n'a jamais baissé les bras pour ce qui est de la lutte pour son pays, même en vivant un peu loin sur le plan de la distance, dans ce Bilâd ec-Shâm qui lui a ouvert ses bras. Son combat, il le menait ad vitam æternam et faisait feu de tout bois pour l'intérêt suprême de son pays... En effet, il comptait, de par ses relations, disons ses contacts avec la franc-maçonnerie, une association ayant des ramifications et des entrées de faveur auprès des souverains et présidents à travers le monde, sur une «probable adhésion» de celle-ci à un soutien effectif au règlement du conflit de son pays, l'Algérie, encore sous le joug colonialiste.
Mais il a vite déchanté... Car, indépendamment des raisons de doctrine islamique où son attention a été attirée par l'élimination de toute référence déiste des textes constitutifs du GODF (Grand Orient de France), ce qu'il considérait comme inacceptable pour le musulman qu'il était, de plus raffermi spirituellement par sa proximité grandissante avec son maître spirituel Mohieddine Ibn ʻArabî, comme l'expliquait Mouloud Kebache, il s'est rendu compte, quelque temps après, que la franc-maçonnerie souhaitait utiliser son prestige, et uniquement son prestige, pour développer ses influences au Moyen-Orient, indépendamment du fait qu'elle ne lui avait pas tout montré, notamment quelques airs de sa méconnaissance, et souvent de son irrévérence du bel Islam qu'il pratiquait... En fait, selon les francs-maçons contemporains des événements de Damas, «l'Emir avait bien agi parce qu'il avait acquis des vertus chrétiennes».
Ah ! quelle ignorance. Peut-être même, quel mépris à l'égard des vertus immémoriales que nous enseigne l'Islam, en toutes circonstances, et plus particulièrement lors des défis contre l'humanité ! Ils ne savaient pas, ces francs-maçons, que l'Emir Abdelkader avait déjà en lui des «vertus christiques» au sens que lui avait donné Ibn ʻArabî, et ce, conformément à Al-chāri'ā et aux préceptes de l'Islam ? Ainsi, et nonobstant ces distorsions perceptuelles concernant l'Emir qui ne furent pas le seul fait des francs-maçons, il y eut des témoins oculaires, dont ceux à qui il sauva peut-être la vie, qui se méprirent sur ses motivations qui furent en réalité essentiellement dans les authentiques enseignements islamiques. «Ils le savaient courageux, mais ils le considéraient également comme étant un débiteur et un protégé de la France. Ils pensaient que l'Emir était un musulman qui se percevait comme étant inférieur et à qui on pouvait tenir impunément des propos de croisades...»(11)
De là, et comme le disait Bruno Etienne, le discours franc-maçon de l'époque serait aujourd'hui considéré comme un modèle très actuel d'islamophobie et de rabaissement civilisationnel de l'Orient. Voici un exemple de ce qui parsemait cette littérature hagiographique avant la réception de l'Emir dans la franc-maçonnerie :
«L'Emir franc-maçon, c'est pour nous le coin entré dans le roc de la barbarie, c'est la cognée placée à la racine du mancenillier de l'ignorance aux fruits mortels, et destinés à l'abattre dans un temps prochain [...] C'est que nous savons combien cette énergie sera nécessaire en présence des résistances que ne manquera pas de lui opposer la superstition appuyée sur des mœurs barbares. [...](12)
Relativement à ce qui précède, l'universitaire Mouloud Kebache, déjà cité, nous rappelle que l'Emir n'avait probablement pas eu accès à ces textes hagiographiques, car il s'agissait pour la plupart de documents à usage maçonnique interne qui ne lui ont jamais été adressés. «Quel que fût son enthousiasme pour la franc-maçonnerie et quelles que fussent ses critiques à l'encontre de ses coreligionnaires, il est inconcevable que l'Emir ait pu laisser passer cette condescendance et les énormités émises étant donné sa position et sa stature. Il aurait considéré les propos que l'on retrouve dans les correspondances et les écrits hagiographiques maçons comme étant des indélicatesses théologiques, politiques et de convenance, incompatibles avec son savoir et avec son comportement de musulman soufi qui considère que les règles de bienséance, adab, constituent la pierre angulaire de l'enseignement soufi.»(13)
De tout ce qui précède, l'Emir a pris conscience que la franc-maçonnerie souffrait du même mal que toutes les organisations qu'il a reçues, pendant son séjour forcé en France..., ce mal que vivait toute la civilisation occidentale. Sa décision n'a pas été confuse, puisque franche, sans remords et... surtout, sans appel.
Et, par conséquent, l'Emir Abdelkader cesse tout contact avec la franc-maçonnerie et signifie sa rupture définitive au GOGF, le Grand Orient de France, en 1865.
Cependant, pour ce qui est des affiliations à la franc-maçonnerie des membres de sa famille, il existe des documents, notamment l'ouvrage de Thierry Zarcone, édité en 2019, qui en donne une réponse claire, en démêlant le vrai du faux, y compris s'agissant du rôle joué à Damas par son fils aîné et sa descendance, le tout analysé de main de maître dans les pages 73 jusqu'à 107, de sa dernière livraison. Quant à son petit-fils, l'Emir Saïd, qui a joué des rôles déterminants dans la période des Vilayet ottomanes, ensuite pendant le protectorat français sur la Syrie et le Liban, enfin dans la lutte pour la Palestine et celle de son pays d'origine, la lutte de Libération nationale, dont j'ai longuement parlé dans mes écrits, notamment dans mon dernier ouvrage sur l'Emir et les siens en pays du Levant, a été bel et bien responsable d'une loge maçonnique au Moyen-Orient.
Enfin, pour aller à l'encontre de commentaires insidieux, en évaluant le rapport dialectique qui liait l'Emir à la franc-maçonnerie, nous disons que c'est elle qui était tributaire et non pas l'Emir. C'est la raison pour laquelle l'on a constaté une certaine adhésion à l'image servile qu'on voulait montrer de lui, alors que c'est tout à fait le contraire. Et ainsi, cette organisation amoindrie et divisée ne pouvait rien offrir à l'Emir qui, avec son statut d'Homme universel, contenait éminemment toutes les qualités possibles de la franc-maçonnerie...(14) Il fallait donc en parler clairement, honnêtement, sans passion aucune, et surtout sans polémiquer. En effet, sans passion et avec beaucoup de discernement.
Car, était-il possible que «celui qui jetait, peu après son entrée en guerre avec les colonialistes, les bases d'un véritable Etat algérien détruisait la féodalité, créait une armée nationale, une industrie de guerre, développait le commerce extérieur et visait inlassablement à l'unification du territoire», selon Mostafa Lacheraf, dans L'Algérie : nation et société, allait-il se lancer aveuglément dans une aventure maçonnique, sans aucune garantie d'aboutir à la vérité et de contribuer positivement à relever le niveau de cette société sans abandonner les valeurs de son patrimoine originel ?
En effet, l'Emir, selon Bruno Etienne, qui nous a accompagné dans ce chapitre de la franc-maçonnerie, était «un pont entre l'Orient et l'Occident, dont la guidance est plus pertinente que jamais», c'était «un précurseur du dialogue interreligieux et du refus du clash des civilisations». Le même auteur a tenu également à rappeler qu'«au plus fort des guerres de conquête, l'Emir établit un statut des prisonniers, cent ans avant la Convention des droits de l'Homme de Genève». Mais, excepté cet aspect, qui reste quelque peu confus dans l'esprit d'aucuns, nous pouvons conclure par une autre citation de l'Emir qui, pour nous, traduit la conviction de l'homme vis-à-vis de la bonne voie..., de la vérité surtout. «Si venait me trouver celui qui veut connaître la voie de la vérité, pourvu qu'il comprenne ma langue d'une façon parfaite, je le conduirais sans peine jusqu'à la voie de la vérité, non en le poussant à adopter mes idées, mais en faisant simplement apparaître la vérité à ses yeux de telle sorte qu'il ne puisse pas ne pas la reconnaître.»
C'est de cette façon que vivait l'Emir à Damas. Une vie remplie de bonnes œuvres, car il incarnait le généreux, le bienveillant, le tolérant, dont la probité intellectuelle et l'humilité religieuse lui faisaient rappeler constamment ce message qu'il aimait répéter :
«Notre religion incite au labeur, au dialogue, à l'entraide et au pardon.»
Et ce sont ces idées nobles qui ont fait de lui, en plus de l'homme qui savait manier le glaive, l'érudit qui excellait dans l'exercice de la plume et le respect de l'homme et de la science. Ainsi, face à la vulgarité, au mépris et à la violence de l'Occident conquérant, il a opposé sérénité, sagesse et culture. René R. Khawam, à qui on doit la nouvelle traduction du livre de l'Emir, Lettre aux Français, nous dit dans son introduction que le «conducteur de troupeaux », dont le duc d'Aumale pilla un jour la smala, était lecteur assidu d'Aristote et de Platon, qu'il était lui-même philosophe et poète et l'un des esprits les plus cultivés de son temps.
Ainsi, comment donc décider, à travers des écrits fallacieux, des traductions malhonnêtes, nuisibles et moralement répréhensibles, de même qu'à travers des dissertations mensongères, qu'il avait bel et bien reçu son initiation maçonnique en Egypte et ailleurs ? Cependant, ce que nous disons en guise de conclusion, est que l'Emir Abdelkader, l'Erudit, l'Homme universel, en essayant de connaître ce mouvement de la franc-maçonnerie, évoluait dans la prééminence «des valeurs spirituelles et transcendantes pour accéder à l'intelligence adéquate de l'homme, de sa situation dans l'univers et du sens ultime de son existence».
C'était là la force et l'approche de l'Emir Abdelkader vers plus de connaissances et d'expériences en partageant pour un moment l'idéal maçonnique d'alors, sans renier sa foi musulmane...
K. B.
Notes :
1) Dr Hamza Benaïssa qui a publié un excellent ouvrage sur le sujet : L'Emir Abdelkader et la franc-maçonnerie
2) Mouloud Kebache, de l'Université de Montréal, auteur d'un grand travail sur l'Emir et la franc-maçonnerie, a consulté cette lettre au courant du mois de février 2008 au Grand Orient de France au 16, rue Cadet à Paris, France.
3) Xavier Yacomo, Un siècle de Franc-maçonnerie algérienne (1785-1884)
4) Thierry Zarcone est anthropologue de l'Islam et directeur de recherches au CNRS.
5) Ibidem. Op.cit
6) Jean-Laurent Turbet, conseiller municipal de Levallois. Protestant franc-maçon, il est fondateur du cercle Camille Desmoulins (un révolutionnaire franc-maçon)
7) Kamel Bouchama dans Les combattants de la foi et de la liberté, extrait de l'ouvrage Algérie, terre de foi et de culture, page 302
8) Mohamed-Cherif Sahli (1906-1989). Extrait de L'Emir Abdelkader : Mythes français et réalités algériennes, 1988, édition ENAP, Alger
9) Encyclopédie de la franc-maçonnerie, article Abd el-Kader, paru dans le hors-série n°54 (avril-mai 2004) du Nouvel Observateur, par Bruno Etienne, professeur à l'Institut universitaire de France et directeur de l'Observatoire du Religieux à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence.
10) Mouloud Kebache L'Emir Abdelkader et la franc-maçonnerie française : de l'engagement (1864) au renoncement (1877) Université de Montréal le 17 novembre 2009.
11- Ibidem.
12- Ibidem
13- Ibidem
14- C'est le discours du Dr Hamza Benaïssa concernant l'évaluation du rapport dialectique entre l'Emir et la franc-maçonnerie.


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