Les centaines et les centaines de messages que j�ai re�us depuis ma sortie de prison, le 14 juin dernier, font tous, et avec une �mouvante harmonie, l��loge de la r�sistance et de la solidarit�. L��loge de cette r�volte tranquille et anonyme d�hommes et de femmes fiers comme peuvent l��tre les Alg�riens, et qui a emp�ch� que l�incarc�ration injuste d�un journaliste par un pouvoir mafieux ne se d�roule dans le silence ; ou l��loge, plus ardent encore, de cette r�bellion orgueilleuse de mes co-d�tenus d�El- Harrach qui ont jur� que le d�tenu d�opinion sortira debout du p�nitencier. En cet �t� 2006, l�espoir reste, en d�pit du climat morose, d�cid�ment � la mode. Et ces messages finissent tous par cet appel sacr� : n�arr�tez pas le combat pour la libert� de la presse et pour les libert�s ! Ont-ils quelque raison d�enfin jubiler, de croire que la lutte paye toujours, m�me dans un pays rong� par le doute, avec l�amorce, en cet �t� 2006, de ce discours officiel �conciliant� sur les rapports presse-pouvoir et l�annonce de mesures d�amnistie pour les d�lits de presse ? Je pense que oui m�me si Le Matin reste interdit et que le pouvoir maintient un certain nombre d��p�es de Damocl�s sur ma t�te, dont la confiscation abusive de mon passeport. La presse libre alg�rienne cl�t superbement, et � son avantage, gr�ce aux r�sistances alg�riennes et � la solidarit� internationale, trois terribles ann�es de r�pression sans pr�c�dent depuis la p�riode Lacoste-Bigeard et qui resteront grav�es dans notre chair. Je m�en r�jouis pour en porter encore quelques cicatrices. Ne boudons pas notre plaisir : en d�cidant d�effacer le noir tableau des condamnations des journalistes et en tendant tardivement la main par l�interm�diaire du nouveau ministre de la Communication, le pouvoir reconna�t qu�il a perdu la bataille de la libert� de la presse et n�ambitionne plus, pour l�heure, qu�� se racheter une r�putation aupr�s de l�opinion internationale. Il sort affaibli et discr�dit� d�une campagne de r�pression n�vrotique qui a dur� trois longues ann�es, au cours desquelles il a jet� les journalistes en p�ture aux meutes polici�res et aux juges aux ordres, dans une entreprise barbare de d�capitation de la plume libre qui a r�v�l� sa vraie nature. Aux yeux d�une communaut� internationale qui comblait de r�compenses notre talentueux dessinateur Ali Dilem, pers�cut� dans son propre pays et menac� de rejoindre les sept journalistes embastill�s par le pouvoir, les noms des dirigeants alg�riens se mettaient � rappeler davantage les sinistres Mobutu et Bokassa que le mythique Jefferson. Mon emprisonnement a achev� de salir la r�putation du r�gime alg�rien une fois connues les m�thodes mafieuses utilis�es pour obtenir mon incarc�ration. Le pouvoir alg�rien a alors r�alis� qu�il s��tait �loign� des standards d�mocratiques exig�s par les conventions internationales qu�il a lui-m�me ratifi�es. D�o� cette fr�n�tique op�ration de s�duction qu�il d�ploie aujourd�hui en direction de la presse alg�rienne pour s�attirer de nouveau la sympathie internationale. �M�tamorphose d�mocratique� ? Aussi conviendrait-il de savourer ce moment triomphal avec lucidit�, � le consid�rer aussi comme un recul tactique d�un pouvoir pris � son propre pi�ge et � ne pas perdre de vue que s�il ferme une phase de pers�cution, il s�ouvre, en m�me temps, sur une inqui�tante perspective de cons�cration constitutionnelle d�une autocratie � la �tunisienne� avec toutes les menaces sur les libert�s qu�on peut supposer. N�applaudissons pas trop vite le pouvoir pour des mesures qu�il a prises avant tout pour lui-m�me et sous la pression, n�oublions pas qu�il garde en mains tous les leviers de la pers�cution pour poursuivre les grandes op�rations de �normalisation� que nous allons devoir affronter, d�noncer et d�jouer. Rien ne devrait nous autoriser � la conclusion h�tive et illusoire que les dirigeants alg�riens ont �t� frapp�s d�une �m�tamorphose d�mocratique � durable. Le pouvoir n�a chang� ni dans sa nature ni dans ses objectifs fondamentaux. Il reste dans ses projets strat�giques de se d�barrasser de la presse libre comme de tous les contrepouvoirs n�s dans la foul�e d�Octobre 88 et qu�il consid�re comme antinomiques avec l�exercice de la monarchie r�publicaine en pr�paration. Ils voudront arr�ter le souffle de Novembre. Il me semble alors que, plut�t que de s��puiser � un �dialogue� dilatoire et de diversion avec le pouvoir autour des meilleures mani�res d�appliquer la libert� de la presse, comptons plut�t sur nous-m�mes et optons pour la poursuite de la r�sistance pour consolider cette premi�re victoire de l��t� 2006, la faire suivre d�autres conqu�tes et mettre d�finitivement � l�abri la libert� de la presse ainsi que toutes les autres libert�s. Il faut rappeler au pouvoir alg�rien qu�amnistier les journalistes, c�est bien, ne plus les condamner c�est encore mieux. Il faut surtout rappeler au r�gime alg�rien que pour quitter le cercle tr�s ferm� des derni�res dictatures qui survivent toujours au vent d�mocratique mondial, il est urgent d�abolir les lois liberticides et de d�p�naliser au plus vite les d�lits de presse. Il faut rappeler au pouvoir alg�rien que les bonnes dispositions qui semblent l�animer cet �t� devraient l�inciter � r�aliser que le temps du monopole de la parole et celui de la pens�e unique est r�volu, que les Alg�riens ont le droit de disposer d�autres cha�nes de t�l�vision et de radios comme c�est le cas dans tous les pays qui se r�clament de leur temps. Il faut rappeler au pouvoir alg�rien, auteur d�une �amnistie � s�lective, qu�il reste � lever l�interdiction politique qui frappe le quotidien Le Matin, � en finir avec le harc�lement fiscal qui �touffe toujours ce journal ainsi qu�avec la pers�cution dirig�e contre son directeur. Ce dernier vient de purger deux ann�es de prison d�cid�es arbitrairement par les dignitaires du r�gime, mais est toujours priv� de son passeport confisqu� abusivement par les autorit�s judiciaires et reste condamn� � de lourdes amendes personnelles dont le non-paiement pourrait le conduire de nouveau en prison. Il est temps, � mon humble avis, de lancer : 1. Une campagne nationale pour la d�p�nalisation des d�lits de presse en Alg�rie avec le soutien de l�opinion internationale. 2. Un d�bat national sur l�ouverture de l�audiovisuel � l�initiative priv�e, en accord avec toutes les forces d�mocratiques en Alg�rie. Pour ma part, je poursuivrai mon combat, aux c�t�s des amis de la presse libre, pour la r�ouverture du Matin, la fin du harc�lement fiscal qui persiste sur le journal, la restitution de mon passeport, l�effacement des amendes que la justice aux ordres m�a inflig�es et le recouvrement de tous mes droits.