Il para�t que le pays profond communie avec ses dirigeants. Son adh�sion n�ayant jamais fait d�faut, il les soutient en toute circonstance comme la corde aide le pendu � mourir. C�est � peu pr�s ainsi que l�on doit comprendre la vocation des marcheurs, vocif�rant sur commande. Ils sont annonciateurs de fun�bres lendemains chaque fois qu�on les rameute. Le proc�d� est vieux tout comme le pronostic est sans faille. La populace ne s�y est jamais tromp�e chaque fois qu�on la poussait dans la rue. Elle sait intuitivement que le moment est grave et qu�il n�y a qu�elle pour savoir jouer la com�die et donner du r�pit � son �lite politique en panne de riposte. Tous nos confr�res ont suffisamment soulign� l�absurdit� de la mobilisation des foules quand il �tait attendu d�abord du sommet de l�Etat qu�il exprime sa d�termination � changer son fusil d��paule (sans jeu de mots) face � une terreur fonci�rement id�ologique. L�ennemi de la r�publique, lui, n�a pas renonc� a ses m�thodes, car il demeure, convaincu, � juste titre, qu�un pouvoir se conquiert d�abord par la violence alors que l�Etat se r�fugie dans le subterfuge de la n�gociation. Les �pacifistes� de tous poils n�ignorent, pourtant, pas la nature et les objectifs du complot permanent que repr�sente l�islamisme. Or, ils s�ent�tent � croire que seules les r�solutions politiques peuvent venir � bout du terrorisme impos� au pays. Douze ann�es apr�s le manifeste de Sant�Egidio, dont d�ailleurs l�esprit et la lettre ont irrigu� la d�marche de la politique actuelle, la brutalit� islamiste est toujours op�ratoire quand les pouvoirs publics d�cr�tent � tout bout de champ de nouvelles compensations � ceux qui veuillent de leur plein gr� cesser leurs m�faits. �trange d�tournement des r�f�rences �thiques qui permit � une criminalit� notoire de se muer en actes politiques, voire m�me de s�attribuer des galons de h�ros. Nous en sommes par cons�quent l� aujourd�hui : c'est-�-dire � se poser les m�mes questions qu�il y a huit ann�es lorsque le pouvoir politique entama sa premi�re capitulation. Ils le disaient � l��poque et ils le martelaient sur tous les modes � l�opinion, que le pardon urbi et orbi valait bien quelques pri�res et beaucoup d�oubli. Ils parvinrent m�me � le traduire en retrouvailles incantatoires entre quelques chefs de guerre et des ministres �minents de la R�publique. K�bir chez Belkhadem et Layada en correspondance �pistolaire avec Zerhouni. Le pr�sident lui-m�me ne manqua pas de plastronner lors de la ratification par les urnes de sa charte en 2004. Le pari sur la paix �tait gagn� nous a-t-on dit au grand d�pit de ces cryptola�cs qu�on qualifia de va-t-en- guerre et jusqu'� leur interdire de s�exprimer dor�navant. Les anti-patriotes c��tait donc eux qui voulurent modifier les fondamentaux de la soci�t� en lui imposant des valeurs venues d�ailleurs. Il est vrai qu�une certaine r�mission de la violence conforta la th�se officielle. Et que, par un besoin compr�hensible de s�r�nit�, m�me les moins enclins � croire aux balivernes de l�islamisme renonc�rent, � leur tour, au combat. Le pi�ge se refermait implicitement sur la classe politique qui, de reddition doctrinale en contorsions verbales, accepta une cohabitation, qui, par le pass�, semblait contre nature. L�on �radiqua les derniers soup�ons au seul cr�dit que le meurtre politique a fait son temps et que ces �enfants du bon Dieu� et de la foi ne voulurent plus prendre le premier passant pour un �canard sauvage� ! C��tait en tout cas ainsi que nos lucides politiciens d�crypt�rent la nouvelle donne du pouvoir jusqu'� faire amende honorable. L�on se trompe comme l�on peut parfois sur le peuple, c'est-�-dire l��lecteur qui vous boude et parfois sur les intentions d�une d�marche vis-�-vis de laquelle l�on a nourri une suspicion injustifi�e. Bref, quand la paix redevient une v�rit� v�rifiable, il n�y a plus de raison de continuer � douter. M�me lorsque quelques bergers sont pass�s au couteau dans nos campagnes ou bien quelques militaires et gendarmes succombent dans des guet-apens, il n�y a pas lieu de s�inqui�ter. Ne sommes-nous pas dans la phase r�siduelle du terrorisme ? Disent-ils. Dire, par contre, le contraire �tait devenu dans la rh�torique officielle, une assertion diffamatoire. Un nouvel unanimisme �tait n� dont seuls quelques folliculaires r�calcitrants et quelques clubs politiques (le MDS de feu Hachemi Cherif) y �chapp�rent. L�Alg�rie des �lites politiques se rendit � cette dr�le d��vidence comme l�on se rend � Canossa. La dr�le de paix leur for�a la main et les esprits et ils s�amend�rent de leurs erreurs de jugement devant cette mystique. Mais le 11 avril ce ne fut pas des paysans que l�on trucida ni quelques troufions que l�on ex�cuta en rase campagne, l�islamisme commandita un feu d�artifice mortel dans la capitale qui assomma le pays. La paix, la vraie, restait donc � conqu�rir car celle qui nous fut promise et � laquelle l�on y a cru na�vement n��tait qu�une ruse de guerre. Jusqu�� ce jour, le pouvoir a encore la gueule de bois. T�tanis� et sans ressort, il ne trouva de parade que dans cette ridicule orchestration des marches dont le mot d�ordre est parfaitement surr�aliste. Entre le �non au terrorisme � et le �oui � la r�conciliation � m�me le plus subtil des ex�g�tes ne s�y retrouvera pas. En effet, il va falloir que l�on nous explique comment l�on peut r�futer le terrorisme sinon en le combattant avec ses propres armes et comment doit-on se r�concilier si l�on n�est pas au moins deux � partager ce souhait ? Dans tous les cas de figure, il n�y a pas d�unilat�ralisme dans l�initiative, seul l�affrontement permet de retisser la coh�sion sociale. Ni le pr�sident ni les orateurs de meetings ne se sont encore compromis � r�-examiner sous cet angle la question. Hasardeusement, une dirigeante de parti accusa la main de l��tranger ce que ne manqua pas de relayer ce ministre de l�Int�rieur qui invita la presse � critiquer une certaine puissance qui, disait-il, �vous (nous ?) prend pour des canards sauvages � (sic) ! Nous ne savions pas que le premier flic d�Alg�rie avait des lettres et qu�il avait lu l�inimitable roman d�Antoine Blondin l�auteur de cette fameuse formule : �Il ne faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages.� En tout cas, le personnage de cette fable truculente est un professeur d�histoire qui ne voulait plus enseigner aux enfants des sornettes mais leur fournir des lumi�res sur toute la fausset� de l�histoire officielle. Voil� un souci singulier et utopique qui ne se r�alise que dans les romans ou dans quelques nations r�concili�es avec la libert�. Quant aux pays de malheur qui nous ressemblent, ils sont depuis longtemps peupl�s de �canards sauvages�, otages d�abord de leurs dirigeants qui en, toutes circonstances, manipulent l�histoire pour n�avoir pas � dire la v�rit� ni � reconna�tre leurs erreurs. Parmi les plus abominables fautes politiques dont ils se sont rendus coupables, celle qui rel�gitima un fascisme religieux continuera pour longtemps � hypoth�quer ce pays. Il a beau faire marcher sa machine � propagande, le pouvoir ne pourra plus prendre les gens d�en bas pour des veaux assoupis.