Sur la boueuse «gare routière» de Cheraga, le bus est déjà plein mais joue à d'interminables prolongations. Il ne démarrera pas de sitôt parce que le chauffeur et le receveur tiennent à leur «temps d'attente» qu'ils veulent pousser jusqu'au bout quand ils ne vont pas au-delà, l'agent régulateur étant parfois conciliant. Mais sur ce dernier point, il n'y a généralement pas de problème. Les dépassements sont courts, non pas parce qu'on se soucie de la patience du voyageur, mais parce que l'autre transporteur qui attend aussi son tour ne se laisse jamais faire. Chacun a droit à sa baguette, n'est-ce pas ? En l'occurrence, c'est que «personne ne renonce à son bifteck», mais la question n'est pas là, on ne refait pas le monde, on ne refait pas les destins. Sur un pan de terre boueuse de la «gare routière» de Cheraga, le bus qui dessert Ben Aknoun en passant par Dely Ibrahim tarde à démarrer. Le receveur vocifère toujours son itiinéraire et c'est tout juste s'il ne vous prend pas au collet pour vous mettre d'autorité dans son véhicule pourtant déjà plein comme un œuf. Quand il y a de la place pour 50, il peut toujours y en avoir pour 55. Et pourquoi pas plus, toujours plus, quitte à faire le trajet avec le pied d'un compatriote sur vos orteils et le bras d'un autre vous entourant le cou. «L'exiguïté est dans les cœurs», qu'on vous explique, le reste de la vraie vie est dans le portefeuille. Le bus de «Benak» va maintenant s'ébranler mais avant, il faut que le receveur puisse monter. Il met un pied sur le marchepied, le corps collé au dernier voyageur et reprend son concert de vociférations. Il faut avancer en arrière. Si vous n'avez jamais connu l'hallucination, vous tenez là une occasion unique d'en faire l'expérience. Parce que le receveur est en train de clamer que le couloir est... «vide» ! Ne vous demandez surtout pas ce qu'est un couloir «plein», ce n'est certainement pas dans cet enfer roulant que vous allez l'apprendre. Pendant que le receveur s'adonne à de magiques exercices de contorsion pour faire le tour des porte-monnaie, vous pouvez toujours admirer les «affiches» qui ornent les parois de la machine infernale. Dans le meilleur des cas, elles vous recommandent de consulter les «soigneurs à la h'djama» dont elles fournissent numéro de téléphone, adresses et spécialités. Dans le pire, elles vous somment de ne pas oublier l'évocation de Dieu pendant le trajet. Ne vous en faites pas, le receveur va parvenir jusqu'à vous, il y parvient toujours. Si vous n'avez pas l'appoint, vous avez droit à une sévère remontrance. Avec un billet, vous attendrez la monnaie à l'arrivée. Comme il faut d'abord arriver, vous devez être sacrément patient, parce que le bus attend à chaque arrêt de remplacer ceux qui sont descendus. Le bus ne supporte pas les espaces vides. Alors vous attendez. Si vous râlez, le chauffeur vous explique qu'il attend le retour du receveur, parti chercher des clients loin du véhicule. C'est cela, les bus «privés» d'Alger. Si vous voulez autre chose, «prenez un taxi». C'est le chauffeur ou le receveur, qui sont généralement les patrons, qui vont vous y inviter. Sur un ton qui se passe de commentaire.