On sait désormais qu'entre le Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, et les deux parties contractantes du Pacte économique et social de croissance, l'UGTA et le patronat, le fossé se creuse. Le communiqué signé hier par les présidents de sept organisations des chefs d'entreprise dans lequel ils disent tout le «bien» qu'ils pensent des méthodes Tebboune, met le gouvernement dans de beaux draps. Au-delà de la causticité du texte qui se décline comme une prise à témoin du président de la République et de l'opinion publique quant au non-sens de certaines décisions, c'est surtout l'avenir de ce fameux pacte qui est mis entre parenthèses. Et plus généralement, cette conférence nationale avec les partenaires économiques, sociaux et politiques que Tebboune appelle de ses vœux pour obtenir un quitus pour les réformes douloureuses à venir. Politiquement, c'est une mauvaise occurrence pour le Premier ministre qui semble avoir déjà dilapidé son délai de grâce, en ouvrant un front inutile alors même qu'il est en quête de consensus. Indépendamment de ce que l'on pourrait penser de l'action des patrons, cette fusion totale entre des organisations et la puissante centrale syndicale jadis pas vraiment sur la même longueur d'onde, contre Tebboune, souligne à grand traits le sérieux de la riposte. Le Premier ministre est ainsi tenu pour responsable de l'échec du Pacte économique et social sur lequel les conclavistes ont pris le soin d'apposer la griffe du président de la République. Message subliminal : c'est le chef de l'Etat qui nous a demandé la signature de ce Pacte et non pas vous, M. Tebboune ! Plus prosaïquement, le Premier ministre est accusé en des termes polis, d'être un fauteur de troubles à travers ses mesures qui remettent en cause ce qui avait été négocié avec son prédécesseur. En cause, surtout, le traitement inélégant réservé par le Premier ministre au président du FCE samedi dernier, à l'Ecole supérieure de la sécurité sociale. Les patrons n'ont manifestement pas digéré cette scabreuse affaire qui a fait les choux gras des médias. Ce jour-là, la flèche cibla Ali Haddad mais elle blessa tous les responsables des organisations patronales. D'où ces mots forts : «un coup de canif au consensus douloureusement construit», «un acte difficilement admissible»... Cette levée de boucliers des patrons et de l'UGTA est sans doute bien réfléchie. S'attaquer publiquement à un Premier ministre fraîchement désigné et dans ce contexte délicat, est loin d'être un choix facile. Le rapport de force a basculé hier en faveur des partenaires économiques et sociaux qui ont longtemps servi de béquilles aux pouvoirs publics. Question à forte valeur ajoutée : Tebboune peut-il se permettre de s'aliéner les seuls soutiens qui lui sont acquis ou presque à la concrétisation de son plan d'action ? Avec qui compte-t-il créer ses 160.000 emplois et réaliser ses 400.000 logements ? La réponse est certainement dans la question. Le constat vaut aussi sur le terrain politique. Le Premier ministre qui veut ratisser le plus large possible parmi les partis pour leur faire avaler les mesures impopulaires inévitables qu'il sera contraint de prendre, en les invitant à sa conférence, paraît mal embarqué. Si certains ont catégoriquement refusé de servir d'alibis politiques, d'autres ont posé des conditions difficilement acceptables en ce qu'elles remettent en cause la légitimité même des institutions. Du coup, le projet de consensus sur les «questions d'intérêt national», risque de subir une mévente. Et pour un gouvernement qui veut absolument réussir sa mission de redressement économique, celui d'Abdelmadjid Tebboune s y prend de mauvaise manière. C'est la quadrature du cercle.