Les formes opaques dans lesquelles est née et s'est développée cette action peuvent laisser l'observateur perplexe. Nous sommes bel et bien en face d'une grève très particulière. Non seulement la presse l'a encensée à satiété depuis plusieurs semaines, mais aussi -fait unique-, les médias lourds de l'Etat l'ont, depuis au moins trois jours, présentée comme une action spectaculaire et enrobée dans un habillage sémantique qui lui confère une large légitimité. Cette action de grève considérée comme une mégacontestation sociale et économique par ses initiateurs ne peut échapper à sa vocation politique, ni cacher le consensus général qui s'est formé autour d'elle. Ni le Président de la République ni encore moins le Chef du gouvernement ne sont directement visés par cette grève. Les principaux «concernés» par la contestation (Chakib Khelil, Hamid Temmar) sont les hommes forts du Président et les deux axes centraux des réformes économiques entreprises par le gouvernement. En termes clairs, nous sommes face à une situation unique qui ne laisse pas de doute quant aux messages qu'il faut décrypter au milieu des lectures simplistes et des unanimismes ambiants. Il est vrai qu'au milieu des interprétations, il n'est pas aisé de placer des opinions à contre-courant. Il y a d'abord le fait de retenir qu'elle intervient dans un contexte national marqué par la désagrégation totale des partis politiques. Cette action, aux contours politiques distincts, est entrevue par les partis comme une tentative de l'Ugta d'empiéter sur des plates-bandes qui lui sont étrangères. Des communiqués du MSP, du PRA, de AHD 54, etc. font état, dans un style très critique et dégoulinant d'animosité, de «pratiques politiciennes par le biais de revendications sociales», et d'«utilisation des soucis des travailleurs dans des enjeux suspects». En fait, les formes mêmes dans lesquelles est née et s'est développée cette grève peuvent laisser perplexe. Et il n'y a qu'à lire les avis des rares critiques qui ont quitté les lieux communs et les truismes critiques pour s'en convaincre. Certaines personnes, dont l'esprit critique n'est pas à démontrer, ont avancé que loin de mettre mal à l'aise le Président de la République, cette grève générale «risque» de le réconforter dans ses positions, car elle lui donne une carte à jouer vis-à-vis de la grande communauté internationale. Par rapport à la vitesse exigée pour engager définitivement les réformes économiques, par rapport à la situation de «résistance sociale» qui ralentit ses objectifs et son programme politique, et enfin, par rapport à ses prises de position internationales auxquelles il rajoute aujourd'hui un habillage de «légitimité consensuelle». Et ce n'est pas tout. Il reste à décrypter les messages invisibles d'une grève qui ne se lit pas comme un livre ouvert.