Mon ami Bachir est profondément désolé: il est le seul de sa famille à ne fêter son anniversaire qu´une fois tous les quatre ans, pour la bonne raison qu´il est né un 29 février. Il vit ce petit inconvénient avec philosophie et ne se sent pas frustré de ne recevoir des voeux que lors des années bissextiles. Cependant, il préfère avoir vu le jour un 29 février qu´un 1er avril ou un 19 mars, date à laquelle beaucoup d´opportunistes ont pris le train à une station de son arrivée en gare. Mais mon propos n´est pas là: à l´approche du 19 mars, la chaîne du service public français vient de diffuser un documentaire qui est passé déjà plusieurs fois sur les autres chaînes: il s´agit de La blessure, un documentaire qui s´appesantit sur la triste destinée de ces supplétifs de l´armée française d´occupation et qu´on appelle harkis, goumiers ou autrement selon le corps où ils ont été affectés. C´est certainement le débat qui suivit qui fut la séquence la plus intéressante pour la bonne raison qu´elle réunissait un authentique historien, Benjamin Stora, qui s´est intéressé à de multiples facettes de ce long et sanglant conflit, un vieux harki dénommé Messaoud Kafi, originaire des Aurès qui, sur un ton modéré et d´une voix sereine, a expliqué les raisons de son engagement dans ce corps exécré par tous les Algériens. Puis, il y avait aussi deux enfants de harkis qui ont connu les fameux camps où étaient parqués ceux qui allaient goûter à l´ingratitude de la mère patrie et savourer l´amère destinée commune à tous les traîtres: la non-reconnaissance des deux côtés de la barrière. Ce film, qui aurait dû s´intituler «l´abandon», montre à quel point le pouvoir français, à la veille des célébrations d´anniversaires touchant aux événements relatifs à la Guerre d´Algérie, veut influer sur les opinions des deux côtés de la Méditerranée par une nouvelle lecture de l´Histoire commune aux peuples algérien et français. C´est à cette occasion qu´on peut déplorer le déficit de communication de la partie algérienne qui n´offre qu´une version de cette Histoire relayée par une chaîne unique spécialisée dans la langue de bois. Cependant, la tâche à laquelle elle s´attelle est une opération qu´on appellerait révisionnisme, si elle avait seulement effleuré les intérêts du lobby sioniste. Ce film dénonce la trahison du pouvoir français de l´époque envers ses collabos, et le débat qui s´ensuivit tentait de montrer les différentes raisons qui ont poussé des indigènes à prendre les armes contre leurs frères et défendre le colonialisme, un ordre honni et condamné par l´Histoire. Outre le tropisme tribal ou l´instinct grégaire qui a poussé certains à emprunter la voie de leurs aînés ou de leurs parents, la principale raison mise en relief, aussi bien par le film que par le débat, est l´opposition des harkis aux méthodes «brutales» du FLN. On croit rêver! C´est comme si la violence engendrée par le viol collectif de tout un peuple par les armées coloniales françaises était une douce sinécure par rapport aux méthodes du FLN qui étaient dictées aussi bien par la légitime défense que par des moyens militaires très limités. Cependant, la télévision française n´est pas à son coup d´essai puisque ce thème du harki, à connotation droits de l´homme et démocratie, a été chanté déjà en 1972, à l´occasion du quinzième anniversaire de l´indépendance: Azem Ouali, harki bien connu à l´époque, disait sur la 2e chaîne française, lors d´un débat: «Ce n´est pas que nous n´aimons pas notre pays, mais nous nous étions élevés contre la dictature du FLN.» La démocratie gaullienne leur a fait passer deux décennies au moins dans des camps de concentration.