«Même dans un goulag, rien ne peut arrêter la diffusion des rêves. Et c´est la diffusion du rêve qui, dans une lutte idéologique, est l´arme la plus puissante.» Allan Bay Mon ami Sid-Ahmed me faisait remarquer, à propos de l´effervescence qui règne dans chaque activité que toute nation prospère organise, que le succès de toute entreprise est lié à la notion la plus belle que l´homme ait inventée: la liberté. «Liberté rime souvent avec diversité: liberté d´entreprendre, de penser, de circuler et surtout liberté de rêver. Si le rire est le propre de l´homme (encore là, il faudrait le prouver! car je ne pense pas que le bon Rabelais n´ait jamais entendu le rire des chacals ou le ricanement de l´hyène!), le rêve est une immense faveur donnée par la Nature à l´homme. Je veux parler évidemment du rêve éveillé: de celui que fait l´homme quand il se projette dans le temps et dans l´espace. Quand il échafaude des plans pour sortir de sa condition, pour acquérir d´autres ressources, pour conquérir d´au-tres espaces. «Ce rêveur fou du Kremlin!» C´est ainsi qu´Herbert George Wells désignait Lénine. Ainsi, les hommes qui ont secoué le joug des colonisateurs avaient fait un rêve et comme le rêve est contagieux, des milliers d´hommes en ont été contaminés. C´est ainsi qu´est venue l´indépendance: quand le rêve est devenu réalité. Mais le rêve peut tourner au cauchemar quand la liberté tant espérée est confisquée. Et c´est la triste constatation qu´ont fait bon nombre de citoyens quand une bande de petits malins armés jusqu´aux dents se sont présentés pour dire «voilà». Le parti unique qui avait fédéré toutes les forces vives pour bouter l´étranger s´est transformé en un impitoyable appareil de répression qui avait forgé son rêve à lui: lobotomiser neuf millions d´Algériens pour les atteler à la mangeoire où on peut leur distribuer une maigre pitance en leur chantant les bienfaits d´une fraternité. Bien sûr, les auteurs de cette vaste escroquerie n´étaient pas tous malintentionnés mais il y a au moins deux paramètres pour mesurer la lente marche vers les restrictions de liberté. Je passerai vite sur les libertés d´expression et d´opinion et autres fadaises qui sont garanties par des constitutions à géométrie variable et qui sont contrariées par des lois votées par des députés anonymes... Il suffit de pren-dre l´état du cinéma algérien et celui des cafés. Il n´y a pas meilleur moteur du rêve que le cinéma! Eh bien, au lendemain de l´indépendance, le pays s´est retrouvé avec plus de trois cent cinquante salles plus florissantes les unes que les autres, où les pauvres Algériens pouvaient venir oublier pendant deux heures les soucis quotidiens et rêver, en famille ou en couple. Imagine tout le cérémonial qu´il y avait pour aller au cinéma: on se lève le matin pour aller au travail ou aux études, on passe devant les larges affiches qui tapissent les murs, les façades et les vitrines de ces grands temples du rêve...Ou bien alors, on ouvre son journal à la page des spectacles et on consulte la longue liste des programmes cinématographiques: on choisit seul, en couple ou en groupe le programme de la soirée ou du week-end. C´était une vie sociale organisée autour des rencontres devant le cinéma ou alors, ce qui est le plus courant, au café du coin...»
