«La justice est la liberté en action.» Joseph Joubert Le temps est, normalement, le meilleur pansement pour faire cicatriser les plaies béantes. Quand les blessures causées par les membres d'une même famille sont les plus dures à se refermer, il est difficile de tourner la page parce que les divers protagonistes du drame sont là et continuent à vaquer à leurs lucratives occupations pendant que des milliers de familles se lamentent, parce qu'un des leurs a été tué dans des conditions épouvantables et que ses meurtriers continuent quelque part à mener une vie tranquille. Les Etats, qui arrivent au bout d'une guerre civile ou d'une sanglante dictature à une étape où il est préférable de se tourner vers les cruels épisodes du passé, ont imaginé diverses recettes pour effacer les crimes commis: une loi sur une réconciliation nationale où des procès cathartiques où les criminels, quand ils sont vivants, viennent à la barre pour se faire absoudre de leurs crimes. Tout dépend du régime en place: après la mort du dictateur le plus courtisé par les démocraties occidentales, Francisco Franco, une loi a été votée en Espagne par un pouvoir de transition pour amnistier les crimes contre l'humanité commis durant la Guerre civile. Un juge espagnol, Balthazar Garzon, a osé déterrer ces crimes impunis pour montrer à la face du monde le vrai visage de l'horreur. Des associations franquistes traduisent en justice le courageux magistrat, divisant ainsi l'opinion espagnole en deux parties irréconciliables. Il faut rappeler que le problème des crimes contre l'humanité n'est pas apprécié de la même façon selon qu'ils soient commis au Nord ou au Sud. Chez nous, l'épineux et douloureux problème des disparus revient, au gré des manipulations politiques, sur le devant de la scène politique et pose aussi douloureusement la question de la responsabilité de l'Etat algérien dans les événements qui ont fracturé la société, dès les années 1980, et ont entraîné des dépassements que la morale, la Constitution et les principes des droits de l'homme réprouvent. Il faut en effet, se mettre et à la place des familles dont des membres ont été abattus ou égorgés par des terroristes et à la place des familles dont les rejetons ont été enlevés ou qui sont partis un jour et ne sont pas revenus. Dans les deux cas, à travers les diverses prestations livrées par les déserteurs, dissidents ou opposants au régime, sur les plateaux à l'étranger ou à travers les campagnes menées par ceux qui ont été qualifiés «d'éradicateurs», il est difficile de situer les responsabilités à tous les niveaux de décision tant le système de répression mis en place après l'indépendance est opaque. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il a fallu un travail laborieux tant au niveau diplomatique que sur le plan judiciaire, aux Alliés pour mettre en place un tribunal international qui jugerait les nazis. Il a fallu d'abord, définir les chefs d'inculpation, puis désigner les responsables, les décideurs comme les exécuteurs. Le premier chef d'inculpation fut la planification de l'extermination des juifs. Le reste suivit. Sans comparer ce qui ne peut pas l'être, il faudrait peut-être dans tout jugement équitable trouver l'origine du drame: est-ce le premier qui a décidé que «sa vérité» est la seule qui compte et que tous ceux qui ne sont pas d'accord doivent mourir? Est-ce celui qui a décidé que le système judiciaire n'est pas adapté dans un climat d'état d'urgence et que les méthodes expéditives sont plus efficaces? Est-ce celui qui a fermé les yeux sur les premiers dépassements des années 1980 qui consistaient à tabasser des ivrognes, à saccager des bars ou à incendier les domiciles de femmes seules, ce qui a encouragé les autres à passer à un degré supérieur dans l'épuration de la société? Est-ce ceux qui ont contribué à propager l'obscure idéologie qui a mené une jeunesse déboussolée vers des combats qui n'étaient pas les siens? Ne faut-il pas commencer par juger ceux qui ont causé et profité des ruines des entreprises d'Etat? Pour en revenir à l'Espagne, le juge, qui a cassé un tabou en inculpant le dictateur Pinochet, peut se tirer de ce mauvais pas: l'Espagne fait partie de la Communauté européenne qui reconnaît l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité. Seuls les criminels de l'OAS ou du sionisme échappent encore au glaive de la justice.