Le nouveau président tunisien, Béji Caid Essebsi, aura du pain sur la planche pour réconcilier le Nord, opulent, et le Sud, déshérité L'élection présidentielle a fait apparaître un inquiétant clivage entre une Tunisie du Nord opulente et conservatrice, détentrice des richesses touristiques et industrielles, et un Sud très pauvre et farouchement vindicatif. Sitôt effectuée la passation avec Moncef Marzouki, le nouveau président tunisien, troisième chef de l'Etat élu au suffrage universel après Bourguiba et Ben Ali, Béji Caïd Essebsi, a présenté sa démission de la direction du parti Nidaa Tounès, conformément aux dispositions de la Constitution du pays. Au cours de la réunion qui a regroupé l'instance dirigeante du parti majoritaire, le président Essebsi a demandé à Mohamed Ennaceur, président de l'Assemblée des représentants du peuple, de diriger le parti jusqu'au prochain congrès prévu en juin 2015. Selon des membres du bureau politique de Nidaa Tounès, le prochain gouvernement ne comprendra pas de ministres issus du parti «selon un accord convenu au moment de la confection des listes électorales pour les législatives». Par contre, le nouveau président de la République va consulter, au cours des prochaines quarante-huit heures, les représentants du groupe parlementaire de Nidaa Tounès qui dispose de la majorité relative à l'ARP afin de déterminer la liste des postulants au poste de chef du gouvernement. L'enjeu, s'il paraît anodin en apparence, revêt en réalité une importance cruciale car le rôle de chef de gouvernement est éminemment important du fait de la nouvelle Constitution qui réserve au président de la République un rôle plutôt honorifique. Pour qui connaît le tempérament et la volonté d'être et de demeurer droit dans ses bottes du président Essebsi, le choix du nouveau chef de gouvernement dépendra totalement de sa bénédiction première. La partie est d'ailleurs loin d'être gagnée, la défaite de Marzouki n'étant pas celle d'Ennahda, loin s'en faut. L'élection présidentielle a fait apparaître, plus encore que ne l'ont fait les législatives, un inquiétant clivage entre une Tunisie du Nord opulente et conservatrice, détentrice des richesses touristiques et industrielles, et un Sud très pauvre et farouchement vindicatif, un Sud où le parti de Ghannouchi puise l'essentiel de ses troupes. Or, ce n'est pas par hasard si, dès le lendemain du second tour de l'élection présidentielle, manifestations et tentatives d'émeutes ont agité ce terroir qui entendait contester le résultat final du scrutin mais qui a dû vite se rendre à l'évidence. Plus proche de la Libye que de Tunis ou des autres cités balnéaires qui concentrent les richesses du pays, les villes du Sud sont redoutablement sensibles aux sirènes de l'islamisme armé et quand on mesure l'impact grandissant des émules de Daesh dans le no man's land sahélien, on devine la menace qui pèse encore et toujours sur les deux pays voisins que sont la Tunisie et...l'Algérie. Le nouveau président tunisien et son futur chef de gouvernement devront prendre la mesure de cette terrible menace et gare à ceux qui s'aventureraient à en minimiser la dimension. L'Etat islamique n'a jamais caché sa volonté, et son programme, d'exporter son idéologie dans les pays du Maghreb en y semant les germes de la fitna. L'opération a déjà commencé, voici plusieurs mois, et un pont a été jeté entre les bases d'Irak et de Syrie et celle du Sud libyen d'où partent des groupes armés chargés de cibler les pays du Sahel comme le Mali et le Niger, voire l'Algérie. Telle est la gageure que doit affronter le nouveau pouvoir en Tunisie, un pouvoir au demeurant fort ancien puisque Béji Caïd Essebsi incarne, bon gré mal gré, le retour des Destouriens au palais de Carthage et représente, dans une certaine mesure, la Tunisie des affaires et du tourisme face à une Tunisie profonde qui bout de plus en plus d'impatience.