Jusqu'à 2014, à l'âge de soixante-treize ans, Amar Ezzahi a animé des soirées de mariage ou de circoncision dans l'Algérois. Même fatigué et amoindri, Amar Ezaahi a su adapter sa voix en créant un autre rythme qui nous berce et nous propulse dans l'univers sans cesse innovant de ce monstre sacré de la chanson chaâbie. Dans chaque nouvelle soirée et jusqu'à son ultime prestation, Amar Ezzahi n'a pas cessé de créer de nouvelles versions de pratiquement l'ensemble des titres célèbres de la chanson du chaâbi qu'il a adoptés. Qu'il s'agisse de la mythique El Meknassia, Zenouba, El Herraz, Youm El Djemâa, Ida nmout biya Fettouma, Youm Lekhmi, Ana endi qelb, Amar Ezzahi, grâce à son don exceptionnel d'improvisation dont il est le chantre, parvient toujours à prendre de court son mélomane et de lui offrir, au détour d'un refrain ou d'une fin de couplet une «sortie» qui laissent les spectateurs extrêmement ébloui devant tant de talent et de savoir-faire. C'est pourquoi, aucune version de n'importe quelle chanson interprétée par Ezzahi ne ressemble à une autre. Le génie de Amar Ezzahi, c'est aussi celui d'habiller n'importe quelle qacida-fleuve de Kaddour El Allami ou d'un autre grand poète d'allures musicales qui sont celles d'une autre chanson. C'est ainsi que l'auditeur peut se retrouver en train d'écouter El Harraz sous fond musical de Youm El Djemâa ou vice versa et ainsi de suite. Amar Ezzahi, c'est aussi et surtout cette capacité, qu'on ne retrouve chez aucun autre chanteur du chaâbi, de s'ouvrir sans complexe et sans limites, sur d'autres styles musicaux universels tout en restant profondément ancré dans le style populaire algérois. De la musique classique au flamenco en passant par une infinité d'autres genres provenant des quatre coins du monde, Amar Ezzahi a su les injecter dans une grande partie de ses interprétations rendant ces dernières de véritables chefs-d'oeuvre que rien ne pourra désormais éroder, surtout pas le décès de ce chantre irremplaçable. Concernant cette tendance à ne pas rester prisonnier d'un certain purisme du chaâbi, il faut rappeler que Amar Ezzahi, en innovant de la sorte, a été parfois critiqué sévèrement même par de grands artistes du chaâbi jaloux de rester fidèles à la voie tracée par El Hadj Mhamed El Anka. Mais Amar Ezzahi, comme il a tenu à le souligner dans l'une de ses rares interviews, a rappelé que la musique n'a pas et ne peut aucunement avoir de frontières. D'ailleurs, à la question du journaliste qui l'interviewait au milieu des années quatre-vingt, Amar Ezzahi surprend en répondant que les genres musicaux qui le passionnaient le plus, c'était non pas le chaâbi mais plutôt la musique classique et la musique espagnole. Amar Ezzahi est allé jusqu'à détourner le célèbre air musical, le fameux joyeux anniversaire, pour en faire un support pour l'une des nombreuses qasidate qu'il a interprétées(disponible sur Internet, (Ndlr). Pour avoir une illustration de cette capacité extraordinaire de Amar Ezzahi à marier plusieurs styles avec le chaâbi, il suffit d'écouter par exemple sa version flamenco d'El Meknassia ou encore une version fantastique de la célèbre Ida nmout biya fetouma, disponibles sur internet. Ou encore, écouter une dizaine de versions différentes d'El Harraz ou de Youm el djemâa et ce, successivement et de les comparer afin de pouvoir s'imprégner de cet univers magique du fils de la Kabylie et de Bab El Oued. On découvre alors pourquoi Amar Ezzahi a ensorcelé à ce point des millions de fans et pourquoi les larmes versées jeudi dernier, à Bab El Oued et partout ailleurs dans l'Algérois et dans toute l'Algérie, sont sincères.