L'assassinat, dans des conditions barbares, du journaliste saoudien a abasourdi le monde entier et de nombreuses questions restent posées quant à la méthode brutale et au sentiment de totale impunité des exécuteurs comme des commanditaires. Par bien des aspects, l'affaire Khashoggi rappelle l'histoire de l'enlèvement et de l'assassinat de Mehdi ben Barka, cet homme politique qui, en tant que figure de l'anticolonialisme et de l'émancipation du peuple marocain, fut l'un des principaux opposants au roi Hassan II. Président de l'Assemblée consultative du Maroc sous Mohammed V, il échappera à plusieurs attentats fomentés par le général Oufkir et le colonel Ahmed Dlimi, sur ordre de Hassan II. Réfugié à Alger où il rencontre Che Guevara, Amílcar Cabral, et Malcolm X, il se rendra aussi au Caire, à Rome et à Genève où il échappera à plusieurs tentatives d'assassinat, ainsi qu' à La Havane. Faute de pouvoir l'enlever à Alger, les barbouzes marocains lui tendront un piège en France, où sa disparition créera un séisme politique. Tel semble le sort de Jamal Khashoggi, même si le parcours des deux hommes n'est en rien comparable. L'assassinat dans des conditions barbares du journaliste saoudien a abasourdi le monde entier et de nombreuses questions restent posées quant à la méthode brutale et au sentiment de totale impunité des exécuteurs comme des commanditaires. L'arrogance extrême qui imprègne ce crime sauvage dans un pays tiers, même s'il a été perpétré dans une enceinte bénéficiant de l'extraterritorialité, a de quoi laisser pantois. Le gouvernement saoudien, aux abois depuis plusieurs jours maintenant, a beau déclaré hier que «toutes les personnes impliquées dans le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi au consulat du royaume à Istanbul devront rendre des comptes et peu importe qui elles sont», le mal est fait qui impacte l'image du royaume affecté par une onde de choc internationale où le scepticisme le dispute à l'écoeurement. Il est significatif que cette déclaration ait été faite juste après l'intervention du président Recep Tayyip Erdogan qui a appelé au jugement à Istanbul des assassins présumés du journaliste saoudien ainsi que de leurs commanditaires, après avoir beaucoup insisté sur le caractère forcément prémédité du crime qualifié par l'Arabie saoudite de «rixe qui a dérapé». «La conscience internationale ne sera apaisée que lorsque toutes les personnes impliquées, des exécutants aux commanditaires, auront été punies», a déclaré Erdogan. Il aura fort à faire pour y parvenir, même si le palais royal saoudien est en effervescence et tente de désamorcer la crise en promettant solennellement que justice sera rendue. On a appris hier que Saoud al Qahtani, directeur adjoint des services de renseignements saoudiens et proche parmi les proches du prince héritier, déjà fort impliqué dans les dossiers du Ritz Carlton lors de l'arrestation des dizaines de princes et hommes d'affaires ainsi que de Saad Hariri, le Premier ministre libanais convoqué et séquestré à Riyadh d'où il dut annoncer sa démission improbable, aurait, selon une source au sein même du palais royal, exigé des 15 barbouzes en partance pour Istanbul: «Apportez-moi la tête de ce chien!». Est-ce pour cette raison qu'un des tueurs a pu quitter Istanbul avant que ne soit donnée l'alerte, réussissant grâce au passeport diplomatique à éviter la fouille dans l' aéroport malgré le fait qu'il portait un sac lourdement chargé? Toujours est-il qu'on voit mal comment une telle opération, dans de telles conditions et avec des personnages de ce calibre, puisque le chef de file n'était autre que le général Al Assiri en personne, un autre proche de Mohamed Ben Salmane, pouvait avoir lieu sans que toutes les institutions du pays n'en soient alertées. Et la réaction primaire de l'Arabie saoudite qui affirmait, des jours et des jours après la disparition du journaliste, qu'il avait «quitté» le consulat au motif qu'un sosie avait été utilisé pour la thèse ne fait qu'accentuer le doute et les interrogations. Pourquoi, en effet, s'est-on donné tant de peine pour tenter de faire valoir cette thèse saugrenue contre toute évidence et pourquoi a-t-ton fait rentrer au pays précipitamment le consul qui aurait, selon des enregistrements sonores, protesté contre un acte qui «allait lui attirer des ennuis»? Le film des évènements Le président turc Recep Tayyip Erdogan a exposé hier, le déroulement des événements à Istanbul le jour du meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans le consulat de son pays. Lors d'un discours devant les députés de son parti au Parlement, le chef de l'Etat turc a insisté sur le caractère prémédité de ce crime, contredisant la version avancée par Riyadh. Vendredi 28 septembre 11h50: Jamal Khashoggi se rend au consulat d'Arabie saoudite à Istanbul pour des démarches en vue de son prochain mariage. Selon M. Erdogan, c'est après cette visite que le projet d'assassinat de l'éditorialiste est mis en branle. Il affirme que certains employés du consulat sont rapidement partis en Arabie saoudite pour des «travaux préparatoires». Lundi 1er octobre 16h30: Trois hommes arrivent à Istanbul sur un vol régulier et se rendent à un hôtel puis au consulat. Le même jour, M. Erdogan affirme qu'une mission de reconnaissance a été effectuée par un autre groupe de Saoudiens du consulat dans une forêt proche d'Istanbul, ainsi qu'à Yalova, une province du nord-ouest de la Turquie. Mardi 2 octobre 01h45: Une deuxième équipe composée de trois hommes arrive à bord d'un autre vol régulier à Istanbul et se rend à son hôtel. Neuf autres hommes, dont des officiers, arrivent à Istanbul à bord d'un vol privé et se rendent à un autre hôtel. 09h50 à 11h00: Les quinze hommes se rendent au consulat en plusieurs groupes, et «arrachent le disque dur du système de vidéosurveillance». 11h50: Jamal Khashoggi reçoit un appel du consulat confirmant son rendez-vous pour l'après-midi. 13h08: Le journaliste arrive au consulat avec sa fiancée, Hatice Cengiz. C'est la dernière fois qu'il a été aperçu par ses proches. 17h50: Mme Cengiz contacte des responsables turcs, redoutant que «quelque chose de grave» lui soit arrivé au consulat. 18h20: Six des quinze Saoudiens quittent la Turquie à bord d'un avion privé. 22h50: Sept autres partent à bord d'un autre vol privé. Minuit passé: L'un des hommes, qui avait tenté de se faire passer pour le journaliste sur les images de vidéosurveillance, ainsi qu'un autre individu quittent Istanbul sur un vol régulier.