Après ceux de l'Instance supérieure indépendante chargée des élections (ISIE) et de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA), d'autres appels de plus en plus nombreux pressent l'autorité judiciaire de se prononcer en faveur de l'autorisation du candidat du parti Qalb Tounes (Au coeur de la Tunisie), Nabil Karoui, pour participer aux débats télévisés, lors de la campagne électorale pour le second tour de la présidentielle tunisienne. Jusque-là, aucun signe n'est venu rassurer ses partisans, depuis que, vendredi dernier, le magistrat chargé de l'instruction du dossier a de nouveau rejeté la demande de mise en liberté formulée par les avocats de l'homme d'affaires emprisonné à El Mornaguia depuis le 23 août dernier, pour « blanchiment d'argent et évasion fiscale ». La Justice restera-t-elle sourde aux appels répétitifs des partisans de Nabil Karoui et d'autres qui plaident pour le respect du droit d'un candidat à la présidentielle à mener campagne sur un pied d'égalité avec son concurrent ? Bien malin sera celui qui trouvera la réponse attendue, sachant que l'argumentaire de la Télévision nationale dans sa supplique adressée au ministère de la Justice et à d'autres autorités concernées par le scrutin parle d'un « candidat en prison » auquel il faut assurer des conditions équitables pour « une campagne électorale » sans entrave. Bref, le débat ne fait que commencer et il risque de s'envenimer au fur et à mesure de la longue attente, surtout que Nabil Karoui a lancé depuis El Mornaguia qu'en cas de maintien en prison, il « contestera les résultats » du second tour, ce qui est parfaitement son droit et constitutionnellement son atout. Plusieurs membres de l'ISIE ont déjà averti sur ce point, estimant que le candidat ainsi lésé peut légitimement mettre en cause le non-respect du « principe d'équité » garanti par la loi électorale. Il semble que l'urgence d'une réponse judiciaire invoquée par les deux instances dans les lettres adressées à qui de droit ne soit pas convaincante aux yeux des magistrats en charge du dossier, dès lors que Nabil Karoui a déjà été empêché de mener la campagne électorale au premier tour, suppléé en cela par son épouse et le staff dirigeant de son parti Qalb Tounes. Cela ne l'a d'ailleurs pas desservi puisqu'il est arrivé en deuxième position après le candidat indépendant Kaïs Saïed et que tous deux sont appelés à en découdre lors du deuxième tour dont la date interviendra au lendemain des législatives du 6 octobre. La Tunisie se découvre ainsi dans une impasse juridique sans précédent, du fait même qu'aucune référence n'existe dans la loi électorale pour le cas où il remporterait le scrutin. Dès lors, la voie est ouverte à toutes les suppositions même si des constitutionnalistes y voient une mise en liberté de fait, le chef de l'Etat jouissant en vertu de l'article 87 de l'immunité durant son mandat. Mais le sort de celui qui se présente volontiers comme un rempart « moderniste libéral » face à un candidat qu'il qualifie d' « islamo-conservateur renfermé » pourrait donner lieu à de nouvelles surprises, pour peu que le magistrat instructeur ne l'entende pas de la même oreille. Du côté de Ennahdha, on affirme que la justice est souveraine et qu'elle doit suivre son cours, indépendamment des circonstances électorales. Ce qui n'est pas forcément l'avis de l'autre candidat, Kaïs Saïed, désireux de se « mesurer librement à son rival », sur la seule « base de la vérité ». Est-ce pour autant qu'il appelle à la mise en liberté du détenu ? Il semble que non puisqu'il ne voit « aucune raison » à une telle demande.