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«J'ai compris combien était inégalitaire ce système colonial»
Héliette Paris, écrivaine, à L'Expression
Publié dans L'Expression le 22 - 03 - 2021

Lorsqu'un historien parle d'une guerre, il s'appuie sur des faits, des déclarations, des ordres transmis par écrit. Il tente de remonter le temps pour reconstituer les batailles et comprendre le climat d'une époque, aujourd'hui révolue, et qui ne peut être ressuscitée, même s'il est dit que l'Histoire est un éternel recommencement. Mais lorsque c'est l'écrivain qui raconte la même histoire, ce sont les odeurs, les instants de bonheur, les rires d'enfants qui sont décrits avec la passion et le poids de souvenirs, autrement mieux racontés pour tout auditeur. Dans le cas de figure de la colonisation française en Algérie, l'on a eu droit à deux versions. Dans la série «La mémoire en débat», L'Expression a donné la parole à des historiens qui ont disséqué le rapport Stora et fait le diagnostic implacable d'un système de domination absolu. Aujourd'hui, c'est une écrivaine qui en parle avec sa sensibilité d'artiste, mais également de pied-noir. Héliette Paris nous dit comment elle et sa génération ont été trompées par un discours qui leur présentait la colonisation comme une oeuvre civilisatrice. Elle nous dit comment on peut insuffler le racisme dans le coeur d'un enfant. Elle nous dit aussi, comment ce discours était désuet et faux. Entretien.
L'Expression: Comment définissez-vous le système colonial?
Héliette Paris: Des années après l'indépendance je ne comprenais toujours pas pourquoi le peuple algérien s'était révolté contre la présence française en Algérie en utilisant l'arme du terrorisme qui touchait aveuglément les populations civiles, et ne s'attaquait pas aux dirigeants de cette politique coloniale en Algérie et en Métropole.
J'avais, comme beaucoup, le sentiment qu'il s'agissait «d'une poignée de fellaghas» non représentatifs du peuple algérien, que j'avais côtoyé au quotidien dans mon microcosme, car je vivais à la campagne dans une promiscuité au quotidien avec «des Arabes et des Berbères», dans la ferme que mes ancêtres avait créée, en construisant des bâtiments, en asséchant les marais de la plaine de la Mitidja, et en plantant des orangers et de la vigne.
Tout semblait simple, chacun à sa place; il me semblait évident que la présence française apportait la civilisation, le progrès technique, l'éducation, à un peuple qui avait été sous le joug des Ottomans. J'étais imbibée, comme la plupart des «pieds-noirs» (qualificatif que j'exècre, car nous l'avons découvert en arrivant en France pour nous marginaliser, comme une communauté à part, comme une forme de racisme) par le matraquage politique qui justifiait ce système de domination. J'ai mis du temps à comprendre ce qu'était le système colonial pour les populations autochtones après la conquête de l'Algérie. Pendant la période de la présence française, tout me semblait «à sa place», les Français porteurs de civilisation et «les indigènes» restés à «l'état moyenâgeux».
Toutefois, une question me tarabustait. Qui habitait sur la terre de notre ferme avant que cette terre ne soit accordée gratuitement à mon arrière- arrière-grand-père venu de Franche-Comté? Tous les ouvriers de notre ferme qui habitaient là, n'étaient-ils pas là avant notre arrivée? J'ai eu un élément de réponse déterminant en consultant les Archives d'Outre-Mer à Aix en Provence et l'histoire de la construction du village de Sidi Moussa dont notre ferme dépendait.
Ce village a été créé de toutes pièces sur l'emplacement de cinq fermes indigènes, dont la terre a été «volée» à ses occupants, jetant ces derniers sur le chemin de la misère et qui sont ensuite devenus les ouvriers des fermes de colons. Le voile s'est alors déchiré. J'ai compris, des années après l'indépendance, que la colonisation avait eu pour objectif de s'emparer de très bonnes terres, «le grenier à blé de rome», disait-on déjà sous l'empire romain, en refusant pendant près de 120 ans d'accorder une égalité des droits à la population autochtone, alors que l'Algérie était constituée de trois départements français. J'ai compris beaucoup plus tard combien était inégalitaire ce système colonial, qui affichait sur le fronton de ses mairies «Liberté, Egalité, Fraternité».
Vous êtes née en Algérie, dans les plaines de la Mitidja. Enfant, vous avez vécu dans un milieu berbéro-arabophone en pleine guerre d'Algérie, y a-t-il eu des vies heureuses en dépit des violences, qui empoisonnent les débats à ce jour?
Effectivement, je garde des souvenirs d'une grande beauté de ma vie dans cette ferme, dans les relations avec les ouvriers de mes parents qui vivaient en famille sur cette terre. Je n'avais ni soeurs ni frères et dès le matin je courrais «aux gourbis», comme disait ma mère, pour retrouver les enfants de nos ouvriers, mes amis de jeu. J'étais accueillie comme une princesse par leur mère; il y avait aussi Radoudja, la vieille berbère que j'aimais plus que ma mère et mes grands-mères réunies, et Mohammed avec qui j'allais à l'école, conduite tous les matins par Saïd, le métayer de mon père dans une carriole à cheval.
Dans ces gourbis, c'était différent de chez moi, on parlait une autre langue, Aïcha cuisinait sur le kanoun creusé dans le sol, les murs étaient en torchis. C'était simplement différent, sans jugement de valeur. Les enfants ne sont pas racistes. On leur inculque le racisme, insidieusement, jusqu'à les persuader que les critères qui fondent le racisme sont l'expression d'une vérité profonde. Ces familles que j'ai côtoyées m'ont transmis des valeurs qui m'ont façonnée, par leur grandeur dans leur dénuement Je me sens en partie algérienne, car ces familles c'était aussi ma famille.
Que pensez-vous du rapport Stora suivi de la décision du président Macron de lever le secret défense sur les archives liées à la guerre d'Algérie?
La France a longtemps mis le couvercle sur l'histoire de la colonisation et la guerre d'Algérie. Toute initiative pour apporter un éclairage sur la réalité historique est une bonne initiative, car le silence gangrène les mémoires sur plusieurs générations.
Cette levée ne serait-elle pas sélective, dans la mesure où certaines vérités pourront peut-être blesser quelques partisans: que ce soit en Algérie ou même en France?
Je ne crois pas qu'un grand «déballage» soit la bonne solution. Il ne s'agit pas de repartir en arrière et réouvrir des plaies, mais de trouver le ton juste pour parler de cette histoire, non pas pour battre sa coulpe, mais lui donner sa juste place, dans un contexte historique donné, pour que chacun opère une prise de conscience favorable au dépassement. Le pardon, c'est une affaire à deux: celui qui le demande et celui qui l'accorde pour dépasser le cycle infernal de la rancoeur, de la vengeance, supports d'un éternel recommencement de la violence. Le peuple algérien et le peuple français pourraient être exemplaires par leur exemple de grandeur humaine, en dépassant un système sclérosé de maintien chacun sur ses postures. Je pense qu'il s'agit là, pour la France et l'Algérie, de faire preuve de grandeur. Encore faut-il que chacun dépasse ses postions butées.
Que faudrait-il selon vous pour dépassionner le débat et réconcilier les mémoires entre les deux peuples, algérien et français?
Il s'agit non seulement de réconcilier les mémoires entre les deux peuples, mais aussi, et, pour ma part en tant que Française habitant en France, de sortir des clichés qui constituent le fondement du racisme qui perdure en France, clichés issus de l'idéologie qui a justifié la colonisation. Le racisme à l'égard des Algériens vivant en France, pour certains depuis trois ou quatre générations et de nationalité française, est une réalité tangible, et pour ma part, inacceptable car injuste. La solution? Informer, se parler, expliquer, à savoir toute une démarche pédagogique comme le préconise le rapport Stora.
Qu'en est-il de votre avis sur les accords d'Evian signés le 18 mars 1962, soit 59 ans après l'indépendance?
En 1962, j'avais 18 ans et j'éprouvais ce que ma famille et la très grande majorité «des Européens» ressentaient à travers la signature des accords d'Evian: un sentiment de trahison et d'abandon. Dès le début de l'insurrection de 1954, puis pendant toute la guerre, les différents gouvernants en place à Paris avaient déclaré que l'Algérie était française et le resterait.
L'armée française avait pour mission de «pacifier» et ces actions de «pacification», avec des moyens militaires énormes, avaient fait tant de morts! Camus avait écrit que nous, «les Européens d'Algérie», étions devenus des indigènes et avait proposé de construire un pays indépendant qui intègre tous ses indigènes à égalité de droit.
Napoléon III avait lui aussi un projet de ce type, mais la défaite de Sedan l'en a écarté. Les accords d'Evian ont été négociés sans aucun représentant des Français d'Algérie. Nous-nous sentions bannis. Ces accords ont été signés dans un climat de violence extrême, les rues d'Alger et d'autres villes étaient souillées des crimes aveugles de l'OAS; nous avions peur, peur que la France ne nous protège pas d'éventuelles exactions après l'indépendance. Et à partir de là l'exode a commencé, essentiellement vers la métropole, la plupart n'ayant jamais mis les pieds en France. Dans l'aéroport de Maison-Blanche les familles s'entassaient avec quelques valises et prenaient un avion dans lequel il y avait de la place, peu importe la destination, Marseille, Paris, Strasbourg. Des années plus tard, certains sont retournés en Algérie, toujours bien accueillis.
Les accords d'Evian n'ont pas été respectés sur bien des points. Nous-nous sommes reconstruits en dehors de cette terre algérienne qui était aussi la nôtre, au-delà des injustices du système colonial.


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