Lorsque, il y a quelques jours, on annonçait la mort du président gabonais Hadj Omar Bongo, c'est la France officielle qui a le plus pleuré. En 41 ans de règne sans partage sur son pays petit mais très riche, Bongo a tissé de solides amitiés, au besoin fortement rémunérées, à l'Elysée dont il connaît les moindres recoins et dans toutes les places fortes du pouvoir politique parisien. On a pleuré à chaudes larmes, on a étalé l'étendue de son chagrin et de sa tristesse sur les plateaux de télévision et sur les ondes des radios, et les hommages dithyrambiques au petit bonhomme, qui a si bien su maintenir son pays en paix, ont plu à verse. 41 ans de règne sans espoir de changement, c'est presque l'espérance de vie dans certaines contrées d'Afrique. Mais il est vrai que sous ce long règne tranquille il n'y a eu ni guerre civile, ni massacres à grande échelle, ni nettoyage ethnique ! C'est un fait assez remarquable pour que la France bien pensante le souligne et le baptise : stabilité ! Au Gabon même on a pleuré aussi la disparition du vieux leader. Dans le clan Bongo d'abord, même si l'on a déjà l'esprit à la succession. Parmi les clientèles du régime ensuite, où l'on s'inquiète surtout du maintien de ses privilèges auprès du nouvel homme fort. Un peu moins chez le tiers de la population qui vit dans un grand dénuement malgré les richesses du pays. Chez ceux-là, on commence même à oser, juste du bout des lèvres, exprimer le vœu d'un changement qui puisse les extraire, un tant soit peu, de leurs dures conditions. Stabilité donc ! Ce serait le critère que la France a choisi pour noter ces mauvais élèves africains qui ont eu la mauvaise idée de se débarrasser du joug colonial pour conquérir une indépendance dont ils ne savent que faire. Hisser la stabilité au rang de principal critère de bonne gouvernance en Afrique n'est pas sans risque. C'est même un vrai danger. Les premiers effets dévastateurs se font déjà sentir, certains chefs d'Etat ayant volontairement confondu entre la stabilité de leur propre situation et celle de leur pays. Hier c'était Robert Mugabe qui, du haut de ses quatre-vingts ans, refusait de lâcher le trône dans un Zimbabwe dévasté par les épidémies, ensanglanté par la répression et tenaillé par la famine. Aujourd'hui c'est Mamadou Tandja qui veut à tout prix se maintenir au pouvoir au Niger, alors que la fin de son second et ultime mandat approche… Si la stabilité des hommes et des équipes au pouvoir est un indicateur de bonne gouvernance en Afrique, alors l'Afrique est bien servie. Tout comme la majorité des pays arabes et musulmans d'ailleurs. À la tête de certains Etats, il y a des hommes qui sont au pouvoir depuis si longtemps qu'ils ont eu à faire à Mao, à Tito, à Brejnev, à Nehru et à d'autres géants d'un passé révolu. Non. On ne peut pas laisser dire ça. On ne peut pas laisser confondre stabilité d'un pays et longévité au pouvoir d'un homme, le plus souvent rendue possible par des procédés inavouables. Les Africains ont aussi droit à la démocratie et à la dignité. Mais, faut-il le préciser, quelle que soit la responsabilité des anciennes puissances coloniales dans le marasme africain, les meilleurs ennemis des peuples de ce continent meurtri restent leurs responsables. M. A. B.