Résumé : Mordjana allait se marier. Elle ne connaissait rien encore de son prétendant. Acceptant son destin, elle avait accepté le choix de ses parents... Dans sa famille, on craignait de la voir terminer sa vie en vieille fille car elle portait une vilaine tache de vin sur son visage. Elle était pourtant celle sur laquelle on comptait le plus, sa mère surtout. Chaque année, elle mettait un bébé au monde. À peine le retour des couches, qu'elle retombait enceinte, et le rythme allait crescendo ! Pourquoi le destin avait-il fait d'elle l'aînée de cette famille ? se demandait Mordjana. Pourquoi n'était-elle pas le second ou le troisième enfant ? Hélas ! Elle ne pouvait trouver de réponse à ses questions, et se voyait contrainte de subir quotidiennement ces tâches auxquelles on la contraignait. Son père, qui ne rentrait que lorsqu'il était sobre, et se rappelait qu'il avait une famille, ne lui adressait la parole que pour lui demander des vêtements propres ou quelques chose à manger. Il travaillait chez un agriculteur comme conducteur de moissonneuse. Mais une fois les moissons terminées, il passait le reste de l'année à bricoler... Parfois il se rendait jusqu'au fin fond du Sud pour acheter l'alfa et quelques moutons qu'il revendait. Cela ne durait pas longtemps. L'argent qu'il en récoltait servait plus à payer ses bouteilles de vin qu'à entretenir sa famille. C'était sa maman qui trimait. Elle faisait de la couture lorsqu'elle n'était pas trop mal en point. Elle confectionnait des robes d'intérieur pour les voisines, des tabliers d'écoliers, du linge de maison... Avec ce qu'elle gagnait, elle achetait de la semoule, de l'huile, du sucre, du savon et des légumes... Juste de quoi nourrir sa marmaille... Lorsque la rentrée des classes pointait, elle se voyait contrainte de recourir à l'emprunt. Combien de fois Mordjana ne l'avait-elle pas vue passer toute la nuit à travailler sur sa machine, en versant toutes les larmes de son corps ? La famille grandissait chaque année, et on n'arrivait plus à joindre les deux bouts. De temps à autre, lorsque les grands-parents paternels venaient leur rendre visite, il ramenait de bonnes choses à manger... Souvent de la viande, des fruits, des confiseries, et les enfants étaient enchantés. La grand-mère cuisinait de succulents plats, et on pouvait espérer dormir le ventre plein... Mais pas pour longtemps ! Les grands-parents rentraient chez eux, et tout redevenait comme avant. Son cycle moyen entamé, Mordjana se rendit compte qu'elle devrait faire face à plus de matières et de devoirs scolaires. Où va-t-elle donc trouver le temps de se consacrer à ses études tout en assurant ses tâches ménagères à la maison ? Elle en parlera à sa mère, qui lui rétorquera que dans ce cas là, elle ferait mieux de mettre fin à sa scolarité... La place d'une femme a toujours été à la maison, auprès de sa famille... Dans quelques années, elle deviendra une grande jeune fille qu'on mariera... Alors autant apprendre le maximum sur l'entretien d'un foyer et l'éducation des enfants. Cette fuite en avant de sa maternelle écœura l'adolescente. C'était du pur égoïsme... Sa mère ne pensait qu'à ses propres préoccupations... Et... elle était encore enceinte. Jamais Mordjana ne l'avait vue arborer un ventre plat. Déjà déformé par les précédentes grossesses, sa maman ne tardait pas à s'arrondir et à lui annoncer qu'elle était enceinte, et malade, et devait se reposer davantage... La jeune fille, qui avait appris à coudre, se voyait donc contrainte aussi d'assurer la livraison des commandes dans les délais, et d'en prendre d'autres afin que la famille puisse manger et colmater quelques brèches dans le budget familial. Heureusement qu'on avait ouvert une polyclinique dans le quartier... Des soins médicaux étaient dispensés gratuitement, et tout le monde pouvait consulter un médecin sans se préoccuper du paiement de la consultation.Auparavant, on devait se déplacer jusqu'à l'hôpital qui se trouvait à plus de trente kilomètres, avec tout ce que cela supposait comme dépenses pour le transport et la prise en charge. Malgré tous ces aléas, Mordjana avait tenu bon et avait pu décrocher son brevet et son passage au lycée. Elève assidue, elle avait obtenu des notes très honorables. Dans l'euphorie de son succès, elle avait annoncé à sa mère qu'elle devrait s'inscrire dans un lycée pour la prochaine rentrée... Le lycée le plus proche se trouvait à cent cinquante kilomètres ! Qu'à cela ne tienne, elle allait opter pour l'internat, et viendrait passer les week-end à la maison... Sa mère l'avait écoutée la bouche pincée. A la fin, elle s'était levée de sa machine à coudre pour se diriger vers un canapé et s'y laisser tomber... Elle était enceinte ! Mordjana venait de s'apercevoir encore une fois que sa mère était grosse. Elle se rappelle alors que plusieurs nuits de suite, elle l'avait entendue se lever la nuit pour aller vomir dans la salle d'eau, sans pour autant en faire la relation. Mais maintenant elle avait la certitude ! A plus de 40 ans, et avec tout le mal qu'on s'en donnait pour assurer le gîte et le couvert à sa nombreuse progéniture, sa mère trouvait encore le moyen de faire des enfants. De l'inconscience ! De la pure inconscience ! Tu n'iras pas au lycée Mordjana ! à suivre Y. H.