Vingt-quatre heures après la descente musclée de la police au fief du change parallèle de devises, le square Port-Saïd s'est vidé de ce beau monde qui animait "la Bourse" d'Alger. Les cambistes sont sur le qui-vive. Ils craignent une autre descente. "D'un moment à l'autre", disent-ils. La rue Abane-Ramdane et les ruelles adjacentes, place forte du change parallèle dans la capitale, étaient désertes, hier, lundi, en fin de matinée. Il est 12h30, la circulation automobile est fluide. Face au jardin du square Port-Saïd, comme au front de mer, les cambistes ont déserté les lieux. La descente, opérée la veille par les unités de la police, est toujours dans les esprits. Les quelques cambistes visibles sur les lieux se sont repliés dans les petites ruelles, loin des regards et des patrouilles de police qui sillonnent discrètement les lieux pour repérer d'autres individus. Scotchés au téléphone et scindés en petits groupes de 5 à 10 personnes, les "rescapés" de la rafle ne cachent pas pour autant leur rage. "Ce qui se passe est anormal. Ils disent que nous trafiquons la fausse monnaie. Eux-mêmes, les fonctionnaires de l'Etat, viennent chez nous pour s'approvisionner en dollars et en euros. Ils savent que nos banques n'accordent que 130 euros par année. Ils ont nos numéros de téléphone et nous connaissent tous. Dans le monde entier, le métier de cambiste est connu, même au marché informel", clame un de ces "cambistes" aux aguets. Son complice admet que l'activité constitue bien une infraction à la législation relative au change, mais défend ses amis embarqués la veille par la police. "La police a investi les lieux dès le début de l'après-midi. Ils ont embarqué plus de 30 personnes, dont des cambistes qui étaient à l'intérieur de leurs véhicules. Ils ont tout pris avec eux. Ils ont saisi de l'euro, du dollar et du dinar algérien. Mais, ils n'ont établi aucun PV aux concernés sur place sur les sommes saisies." Puis de s'interroger sur le choix du lieu ciblé dimanche par la police. "Pourquoi Port-Saïd ? Pourquoi pas Sidi-Yahia ou encore ces milliers de magasins où des sommes colossales circulent chaque jour ? Nous sommes une cible facile !", déplore un jeune cambiste. Révolté, son compagnon enchaîne : "On ne peut plus travailler. L'euro et le dollar seront échangés à des taux élevés. C'est le citoyen qui en fera les frais." À la question de savoir s'ils vont réinvestir la rue, un cambiste révèle : "Nous sommes sur le qui-vive. La police va opérer une autre descente. Nous allons perdre le peu qui nous reste. De toute manière, on ne va plus s'afficher et cela se répercutera sur le prix d'achat des devises." Il ne croit pas si bien dire, le taux de change, conséquence de cette descente, a immédiatement bondi. Même ambiance aux marchés Meissonier et de Clauzel. Les cambistes regagnent leurs magasins sans ces liasses qui faisaient le bonheur des clients. "Je suis un simple commerçant. Je n'ai jamais vendu de devises", tente de faire croire ce quadragénaire, pourtant connu sur la place d'Alger. À la question de savoir justement si le change a flambé, un autre cambiste, qui se faisait passer pour un vendeur de chaussures, renchérit : "On souhaite qu'il atteigne les 200%. Comme ça, l'Etat prendra ses responsabilités et sera obligé de libérer le change formel aux commerçants et aux Algériens qui veulent passer leurs vacances en famille à l'étranger." Aux dernières nouvelles, nous apprenons que les principaux fournisseurs de devises qui alimentent les cambistes du square Port-Saïd ont quitté Alger. Selon des témoignages recueillis sur place, les petits courtiers restés sur place sont là comme simples éclaireurs pour suivre, au jour le jour, l'évolution de la situation. Avec le fol espoir que les affaires reprennent vite. F. B.