La répression menée par le nouveau régime contre les opposants, qu'ils soient islamistes ou autres, a atteint un niveau qui interpelle urgemment la communauté internationale. La dictature qu'instaure le nouvel homme fort du pays, le président Abdel-Fattah al-Sissi, n'est pas une vue de l'esprit en Egypte. En atteste, une fois de plus, un énième rapport de l'ONG Amnesty International, publié hier, et qui pointe du doigt l'Agence nationale de sécurité (NSA) qui "enlève des personnes et les soumet à la torture et à une disparition forcée afin d'intimider les opposants et d'éliminer la contestation pacifique". Pour cette ONG, cette pratique est devenue "un des instruments clés de la politique d'Etat de l'Egypte" et touche même des adolescents de 14 ans, disparus sans laisser la moindre trace. "Ce rapport expose au grand jour les méthodes que les autorités égyptiennes sont prêtes à employer pour terrifier et réduire au silence les protestataires et les dissidents", a déclaré Philip Luther, directeur du Programme Afrique du Nord et Moyen-Orient à Amnesty International. Ainsi, "toute personne qui ose exprimer des critiques est en danger, la lutte contre le terrorisme servant de prétexte pour enlever, interroger et torturer les gens qui contestent la politique des autorités". Après avoir chassé l'ancien chef d'Etat issu de Frères musulmans, Mohamed Morsi, le premier à être démocratiquement élu en 2012 au lendemain de la chute de son prédécesseur Hosni Moubarak, le maréchal Al-Sissi, converti depuis à la politique, a adopté la politique de la terreur dans tout le pays. Aucun opposant n'y échappe, qu'il soit islamiste ou laïque. Mais la situation s'est aggravée depuis l'arrivée de Magdy Abd el Ghaffar à la tête du département de l'Intérieur en mars 2015. Cet ancien patron de la police secrète, le Service de renseignement de la Sûreté de l'Etat (SSI, ancêtre de la NSA), sous l'ère Moubarak, a multiplié le nombre de personnes disparues, constate Amnesty. Tout cela n'aurait toutefois pas été facile sans la complicité des autorités judiciaires égyptiennes, inféodées au nouveau régime. "Le rapport montre non seulement que les personnes soumises à une disparition subissent de graves violences, mais aussi que les forces de sécurité agissent en collusion avec les autorités judiciaires égyptiennes, qui sont disposées à mentir pour couvrir leurs agissements ou qui s'abstiennent d'enquêter sur les allégations de torture, se rendant ainsi complices de graves violations des droits humains", affirme Amnesty. "Le rapport critique sévèrement le parquet égyptien, qui s'est rendu complice de ces violations et a trahi son devoir au titre de la législation égyptienne de protéger les personnes contre une disparition forcée, une arrestation arbitraire, la torture et d'autres mauvais traitements. Si le parquet n'est pas réformé en vue de garantir son indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif, il ne pourra pas accomplir sa mission", a rappelé hier Philip Luther. Mais les autorités égyptiennes continuent de nier et d'accuser les ONG de chercher à déstabiliser le pays, dans un contexte où l'expansion du terrorisme offre à de nombreux dictateurs dans le monde arabe un parfait prétexte pour faire taire les voix discordantes. Quant à certaines puissances occidentales, au nom de leurs intérêts économiques et géostratégiques dans la région du Proche-Orient, elles sont devenues muettes, devant donc assumer leur responsabilité morale et historique face à ces violations des droits humains en Egypte. Le représentant d'Amnesty le rappelle d'ailleurs en affirmant que "tous les Etats, en particulier les Etats membres de l'UE et les Etats-Unis, doivent utiliser leur influence et faire pression sur l'Egypte pour qu'elle mette fin à ces violations, qui sont commises sous le prétexte fallacieux de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme", estimant qu'"au lieu de continuer de fournir aveuglément des équipements de sécurité et de police à l'Egypte, ils devraient mettre un terme à tous les transferts d'armes et d'équipements qui sont utilisés pour commettre de graves violations des droits humains en Egypte, jusqu'à ce que des garanties efficaces soient mises en place pour empêcher de tels agissements et jusqu'à ce que des enquêtes exhaustives et indépendantes soient diligentées et les responsables présumés déférés devant la justice". Lyès Menacer