La réunion du comité conjoint de monitoring Opep-non Opep se tiendra dimanche 23 septembre à Alger. C'est une réunion qui s'annonce tendue, à laquelle sont invités les Iraniens, dont le secteur pétrolier sera à nouveau sous le coup des sanctions américaines, dès le 5 novembre prochain, farouchement opposés à l'idée de rehausser les niveaux de production, y voyant une manœuvre saoudienne destinée à récupérer ses parts de marché. C'est dans ce contexte conflictuel que se tiendra, dimanche, la réunion du comité mixte chargé de suivi des accords Opep-non Opep, conclus en décembre 2016. Les élections de mi-mandat aux Etats-Unis, prévues en novembre également, font grimper d'un cran les pressions exercées par Donald Trump sur l'Opep. Complètement obnubilé par ses priorités qui consistent à contenter l'électorat, Donald Trump a exigé à plusieurs reprises que l'Opep et son allié saoudien augmentent la production de pétrole afin que les prix des carburants baissent aux Etats-Unis. Mourad Preure, expert pétrolier international, analyse, dans cet échange avec Liberté, ce contexte de tensions dans lequel se déroulera ladite réunion. Il plaide pour que l'Algérie s'investisse pleinement dans les négociations au sein de l'Opep et appelle Sonatrach à migrer vers le statut d'acteur énergétique mondial. Liberté : La réunion du comité conjoint du monitoring Opep-non Opep se tiendra dimanche à Alger avec, en toile de fond, des tensions géopolitiques pesantes autour, notamment, de l'Iran et des pressions américaines invitant des membres de l'Opep à rehausser les niveaux de production. Comment voyez-vous l'attitude des producteurs Opep et non-Opep face à de tels facteurs ? Mourad Preure : Je ne m'attends pas à une remise en cause fondamentale du consensus d'Alger en septembre 2016. L'Opec ainsi que ses partenaires non-Opec menés par la Russie sont sur une ligne de défense des prix. L'Arabie saoudite, pays majeur de l'Opec, a tiré les leçons de son choix de la ligne de défense des parts de marché et de la guerre des prix qu'elle déclencha pour ce faire pour la seconde fois après 1986 et qui eut des effets dévastateurs sur le marché. Sa situation économique (100 milliards de dollars de déficit budgétaire), le souci de réussir son plan de diversification économique ainsi que les impératifs de prix qu'impose l'ouverture du capital de sa compagnie pétrolière, l'Aramco, influent fortement sur ses décisions. De même que pour la Russie, en besoin fort de ressources financières et qui supporterait difficilement le niveau de prix connu en 2014. De fait, le dernier accord de Vienne n'avait pas acté un niveau précis d'augmentation de la production, seulement l'augmentation de la production autorisée de pays membres en cas de défaillance de l'un d'eux (Iran, Venezuela). Un niveau entre 500 000 bj et 1 Mbj a été évoqué par les ministres présents à la réunion. Cela, alors que l'Opec respectait déjà à 150% les accords de Vienne de 2017, soit une baisse totale de 1,8 Mbj. Les mesures d'embargo décidées par les Etats-Unis contre l'Iran, et qui prendront effet le 4 novembre, pèseront sur la réunion, vu l'importance de ce producteur dans l'organisation. Mais je pense que la réunion ne déviera pas de sa mission officielle, à savoir étudier la mise en place de mécanismes pour mettre en œuvre l'accord conclu à Vienne en juin dernier. L'Algérie, qui accueille une nouvelle réunion des producteurs après celle de 2016, réussira-t-elle à défendre les accords dits d'Alger en rapprochant une fois de plus les positions divergentes de l'Arabie saoudite et de l'Iran ? Je pense que l'Algérie, malgré le niveau limité de ses réserves, et donc son poids réel sur la scène pétrolière mondiale, a réussi à se faire accepter par les pays producteurs comme un élément stabilisateur en mesure de faire aboutir des consensus dans des situations très complexes. Je pense qu'elle jouera encore cette fois-ci ce rôle. Je profite d'ailleurs de votre question pour dire que notre pays est aujourd'hui le mieux placé pour postuler au secrétariat général de l'Organisation. Je ne vous cache pas que des experts internationaux que je rencontre dans des congrès m'ont souvent rappelé cette idée. Il faut y penser car cela renforcerait sensiblement l'influence de notre pays sur la scène internationale. Mon avis est que notre pays est le mieux placé dans cette réunion pour négocier autant avec l'Iran, l'Arabie saoudite en conflit ouvert, ainsi qu'avec la Russie. La diplomatie algérienne doit aussi y contribuer tant la réussite de cette réunion est importante. Comment voyez-vous la coopération entre l'Opep et ses partenaires non-Opep au-delà de décembre 2018 et quels sont les facteurs-clés d'un retour à l'équilibre du marché pétrolier ? Le marché pétrolier tend vers l'équilibre, cette tendance se confirme. La demande s'oriente vers un niveau de croissance annuel entre 1,3 et 1,4 Mbj pour les dix prochaines années. Elle a été de 98 Mbj (millions de barils jour) en 2017, elle se place au niveau de 99,3 Mbj en 2018 et atteindrait le niveau de 100,6 Mbj en 2019. Dans ce contexte, l'offre tend à se restreindre, avec un déclin structurel de la production américaine anticipé à partir de 2019. Le marché tend à devenir un marché d'offreurs. Les surcapacités qui existaient en 2014, de l'ordre de 2 Mbj, et qui avaient été un facteur déclenchant de la crise, dans un contexte, alors, de ralentissement de la demande dû aux effets de la crise de 2008, tendent à disparaître. De fait, ce retour à l'équilibre du marché, et qui m'apparaît structurel, le rend plus sensible aux risques géopolitiques, car rendant potentiellement possible une rupture d'approvisionnement en cas de crise politique grave au Moyen-Orient, ou d'arrêt des exportations vénézuéliennes. Ceci est intégré par les marchés qui s'orientent à la hausse, portant le baril au-delà des 75 dollars, testant le seuil de 80 dollars. Le président américain envoie des signaux contradictoires au marché, déjà fébrile. En même temps, par l'embargo sur l'Iran, il envoie des signaux haussiers, alors que la guerre commerciale engagée avec la Chine et aussi avec ses alliés traditionnels, l'Union européenne et le Canada, envoie des signaux baissiers. Cela alors que la production américaine, qui a atteint un niveau de 11 Mbj tendra à stagner à l'avenir, perd de sa flexibilité rendant progressivement à l'Opec son rôle de swing producer. L'Opec a réussi à construire un front avec des pays importants Nopec. L'ensemble représente au total 90% des réserves mondiales et 50% de la production. Ce bond qualitatif ne peut pas ne pas s'accompagner de frictions, aggravées avec la crise iranienne. Mais je pense que le consensus d'Alger 2016 a fait franchir au marché pétrolier une étape importante et qu'il est appelé à perdurer. Les besoins économiques saoudiens et le réalisme du président Poutine aidant. Sonatrach a-t-elle un autre rôle à jouer sur les marchés extérieurs plutôt que de continuer à focaliser sur le seul métier d'exportation des hydrocarbures ? J'ai répondu volontiers à vos questions, à la réserve suivante. Quand bien même le niveau des recettes d'exportations pétrolières est vital pour notre économie et qu'il convient de lutter pour un juste prix de cette ressource, nous devons opérer impérativement un renversement de perspective stratégique. Nous devons postuler non plus au rôle, forcément limité, de source d'hydrocarbures pour l'économie mondiale, mais d'acteur énergétique, présent activement dans les transformations structurelles de l'industrie pétrolière ainsi que plus fondamentalement dans la transition énergétique. Notre ensoleillement naturel exceptionnel et notre expertise industrielle ainsi que notre position géographique nous y qualifiant largement. La puissance des pays producteurs réside aujourd'hui non plus dans le niveau de leurs réserves et productions mais dans la puissance de leurs compagnies nationales, dans leur compétitivité et leur pouvoir innovant, Sonatrach pour ce qui nous concerne. Il nous faut donc, indépendamment et complémentairement aux impératifs de court terme qui nous imposent de nous intéresser aux prix pétroliers, focaliser notre attention autour de Sonatrach. Il faut considérer comme priorité stratégique nationale le renforcement de Sonatrach, le soutien à son développement international. À l'instar des grands pays producteurs, elle doit être insérée dans la chaîne diplomatique pour obtenir un effet de levier dans son développement international, absolument impératif aujourd'hui. Sonatrach doit devenir un grand découvreur d'hydrocarbures, s'implanter puissamment à l'international, en Europe notamment pour défendre ses parts de marché et valoriser ses produits par une intégration vers l'aval européen gazier et électrique. Elle doit renforcer pour cela ses articulations, qui doivent devenir organiques, avec l'université nationale ainsi que l'industrie, publique et privée, et être un véritable pôle de rayonnement, une locomotive dans le sens propre au développement industriel et technologique national.