De ses balades à Alger, à son lieu de travail en passant par le voisinage et l'entourage, tout rappelle à Leïla son célibat qu'elle vit comme un fardeau, quand ce ne sont pas les reproches à peine voilés des autres qui tuent davantage le petit espoir qui lui reste. Mimoune a l'art et la manière de se moquer de ces donneurs de leçons, pour qui une femme non-mariée est inévitablement vouée à une vie de réclusion et de malheur. Les petites manies de ces gens sont bien représentées dans ce roman. À l'instar de celles de Warda, la veille voisine, qui ne peut s'empêcher chaque fois qu'elle croise la jeune femme, de lui faire des remarques désobligeantes, et une curiosité à la limite de l'indécence : "Il y a du nouveau pour toi Leïla ou pas encore ? (…) Je te le redis, ce n'est pas parce que tu n'es pas mariée que tu n'es pas une fille de famille. Tu es gentille, si, si moi je le sais" (p21). Mais après plusieurs relations dont le terme fut souvent éprouvant pour Leïla, cette dernière ne pense plus qu'à une chose : quitter le pays. Puisque son environnement ne lui a offert ni la liberté, ni l'amour en lequel elle croyait, encore moins une relation familiale normale, l'exil devient à ses yeux la seule issue. L'écrivaine relate brillamment le chemin de croix par lequel passent les jeunes femmes ayant "dépassé" l'âge de se marier. Et c'est à travers un mariage arrangé avec Amine, un vieil émigré plus porté sur les apparences et la surenchère, que se cristalliseront toute l'hypocrisie, les mensonges et les coups bas, de rigueur en ces circonstances. Mais moins porté sur l'avenir du futur couple – un avenir dans lequel Leila tente tant bien que mal de se projeter – que sur les discussions politiques, les parents de la jeune femme ne semblent nullement se soucier du bien-être de leur fille. Pour sa mère, ce mariage est la dernière chance de se débarrasser d'elle, comme si Leïla et son célibat étaient la cause de son malheur, tandis que son père se résigne à accepter cette union, y voyant peut-être le seul moyen pour sa fille d'échapper à l'emprise et l'hystérie de sa mère. Comprenant à son tour que cet exil est le dernier rempart à une liberté volée, Leila accepte à contrecœur le mariage dans lequel elle se voit d'ores et déjà malheureuse. L'auteure saisit, avec force détails les moments du mal-être de la jeune femme, et de toutes celles qui ont eu à vivre ces moments où le destin semble s'acharner. Un monologue qui frise l'hystérie rend compte alors de toute la détresse psychologique et émotionnelle de la mariée : "Et si je me levais subitement et défaisais le chignon à l'arrière de ma tête ? (…) et si je me levais et leur disais tout haut ce que je pense de ce cauchemar ?". Mais bien plus forte et intelligente qu'elle veut bien le laisser croire, elle échafaude un plan, aux lourdes conséquences. Mais qu'importe, ne plus avoir à faire semblant, ne plus être l'objet de reproches, de moqueries ou même de pitié est l'ultime but. À travers son personnage, Salima Mimoune pointe du doigt les mentalités rétrogrades, l'asservissement des femmes, et la place que leur réserve la société quand elles choisissent d'autres chemins que ceux imposés. Yasmine Azzouz Le bal des mensonges de Salima Mimoune, Editions ENAG, 2017, 174 pages