"Depuis la disparition de Matoub, l'on remarque l'absence de l'école de l'art et de la résistance au profit de l'école de la pacification de l'art et de la résistance", dira Mohamed Rezzik du département Le colloque national consacré, depuis hier, par le département de tamazight de l'université Mouloud-Mammeri, à l'un des piliers de la chanson kabyle et du combat identitaire, Matoub Lounès, a été l'occasion, non seulement de revisiter l'œuvre de l'artiste engagé, mais aussi et surtout de la soumettre au regard scientifique et pluridisciplinaire des nombreux chercheurs universitaires qui se sont fixé l'objectif de disséquer l'œuvre sous ses différentes facettes pour comprendre l'homme. Aussitôt donc la cérémonie de remise du Prix de la mémoire à titre posthume achevée, les communicants entrent en jeu et parmi eux Mme Leïla Bouzenada du département de français de l'université de Blida qui s'est attelée, dans sa communication intitulée "L'œuvre poétique de Lounes Matoub : un livre ouvert sur l'histoire", à lever le mystère sur la question de l'attachement populaire à l'œuvre de cet artiste emblématique longtemps après sa disparition. "Une des raisons de cet attachement à l'œuvre de Lounès est sans doute le fait qu'elle s'oppose au mensonge historique et qu'elle dévoile le tabou idéologique", a-t-elle analysé expliquant que son œuvre jette la lumière sur l'histoire qui, ayant été longuement instrumentalisée, provoque des doutes qu'elle a qualifiés de "presque indéniables sur sa crédibilité". À ce titre, Leïla Bouzenada a tenu à souligner que "l'œuvre de Lounès constitue, en effet, un livre ouvert sur l'histoire et un fonds inépuisable qui servira toujours à démythifier l'histoire idéologique et à la sortir des carcans de la censure". À travers l'étude de quelques-uns des textes de Lounès, l'enseignante s'est échinée, ensuite, à montrer la part de l'histoire dans cette œuvre, comment cette histoire s'oppose à la version hagiographique officielle et à la remise en place de certaines vérités historiques. "Se servant de différentes figures de rhétorique, depuis l'allégorie jusqu'à la métaphore, Matoub offre à travers son œuvre poétique des fresques historiques qui brassent largement les différentes ères historiques de tamazgha", a-t-elle décortiqué. Présentant une communication intitulée "Slimane Azem-Matoub Lounès : deux hommes, un combat", Mohamed Rezzik, un doctorant du département de français à l'université de Tizi Ouzou, a œuvré, quant à lui, à expliquer ce qui motive la forte présence du personnage de Slimane Azem dans l'œuvre de Matoub Lounès. "En choisissant le camp de Slimane Azem, Matoub semble avoir compris, dès le début de sa carrière artistique, qu'il était destiné à continuer une action de résistance contre les différentes formes de normalisation et de reniement de la lutte pour l'identité berbère", a-t-il expliqué déplorant, toutefois, que "depuis la disparition de Matoub, l'on remarque l'absence de l'école de l'art et de la résistance au profit de l'école de la pacification de l'art et de la résistance". Si Mohamed Haddadou du département d'anglais a axé sa communication sur une approche comparative de l'engagement et du combat de Matoub avec celui de James Joyce, Ali Chebili du département de français a analysé, dans sa communication, comment le récit autobiographique, Rebelle, a servi de prétexte à Matoub pour dire le destin d'un peuple nié dans son existence et son combat pour la quête de l'identité. "Raconter sa vie n'est qu'un prétexte pour parler de la horde sauvage coloniale jusqu'à la barbarie des islamistes des années 90 : Matoub raconte l'histoire de la Révolution, l'indépendance trahie, les coups d'Etat successifs, le Mouvement culturel berbère, le 20 Avril 1980 qu'il compare au 1er Novembre 1954, Octobre 88, la recrudescence de l'islamisme, l'assassinat des intellectuels, de Feraoun jusqu'à Djaout, la Kabylie et son combat identitaire", a résumé M. Chebili, expliquant que Matoub "a, ainsi, à travers sa mémoire personnelle blessée et fragilisée, raconté l'histoire d'un pays damné pris en otage entre les menaces islamistes et les griffes d'un système dictatorial arabo-baâthiste". D'autres communications sur "la figuration de l'ironie comme stratégie argumentative dans les poèmes de Matoub", "Matoub, entre le vécu et la création", "Matoub entre narcissisme et réalisme", "Analyse linguistique de textes de Matoub", "Pour une retraduction-réadaptation de la poésie de Lounès", "Regard sur la poésie matoubienne : un legs multidimensionnel à sauvegarder"… sont autant de communications prévues durant ces deux journées du colloque. Le Prix de la mémoire décerné à Matoub Lounès L'université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou a honoré, hier, le chanteur kabyle et symbole du combat identitaire, Matoub Lounès, en lui décernant, à titre posthume, le Prix de la mémoire qui équivaut au prix docteur honoris causa pour les vivants. La remise du prix a eu lieu en présence du wali de Tizi Ouzou, Abdelhakim Chater, du président de l'APW, Youcef Aouchiche, de membres de la famille Matoub et de nombreux militants et étudiants, à l'ouverture du colloque national de deux jours organisé par le département de tamazight de l'université de Tizi Ouzou sous le thème "L'œuvre de Lounès Matoub revisitée", à l'occasion du 63e anniversaire de sa naissance. La cérémonie a été une occasion pour chacun des invités de rendre hommage au Rebelle dont l'œuvre fait désormais l'objet de nombreuses recherches universitaires. Si, lors de son intervention, le P/APW a souligné l'immortalité de Matoub Lounès tant son œuvre est toujours là pour perpétuer son existence et son engagement pour inspirer les générations à venir, le wali de Tizi Ouzou a tenu, en tant que représentant de l'Etat, à mettre en relief la grandeur artistique de l'homme, tout en occultant, toutefois, son engagement politique contre le pouvoir. "Nous nous inclinons pieusement devant la mémoire du disparu qui a imprimé de son vivant une marque indélébile sur la culture nationale, notamment dans les domaines de la musique et de la poésie", a-t-il déclaré, ajoutant que "le défunt a aussi marqué les esprits par le combat qu'il a mené avec conviction pour la défense de la langue et de la culture amazighes". Lors de son intervention, le recteur de l'université, Ahmed Tessa, a souligné que "ce que Matoub nous a laissé est un legs qui a marqué l'histoire de l'humanité" et aussi "une belle matière première pour la recherche scientifique, une matière qui mérite d'être disséquée, interprétée et étudiée par un regard scientifique et pluridisciplinaire". S'exprimant à l'occasion, Malika Matoub a estimé que "cette entrée de Matoub à l'université est l'aboutissement de quelque chose : son œuvre sera ainsi étudiée et comprise par les siens, et surtout par ceux qui n'ont pas accès à sa langue".