L'institution de Tayeb Belaïz aura du mal à trouver des arguments pour valider la candidature de M. Bouteflika, alors que le peuple l'a clairement désavouée et donc délégitimée. Devant l'ampleur de la contestation grandissante de la candidature du président Bouteflika à un 5e mandat, tous les yeux sont braqués sur le Conseil constitutionnel qui, dans 4 jours, devrait rendre son verdict sur les dossiers de candidature à la présidentielle du 18 avril 2019 et est, plus que jamais, sous les feux de la rampe. Pis encore, il est soumis à de fortes pressions depuis quelques jours déjà. Il y a d'abord la pression populaire. Au lendemain du 10 février, date de l'annonce de la candidature de Bouteflika, la rue algérienne est gagnée par une fièvre anti-5e mandat qui, à ce jour, n'a pas baissé d'un iota. Bien au contraire. Elle monte et les marches du vendredi 8 mars, la plus grande manifestation jamais organisée en Algérie, voire dans le monde, dont les millions de citoyens qui ont battu le pavé de presque toutes les grandes villes algériennes, en sont la preuve. Mieux, toutes les catégories sociales (chômeurs, étudiants, journalistes, universitaires, syndicalistes, etc) ont apporté leur pierre à cette insurrection citoyenne. C'est dire que la revendication du rejet de la candidature du président Bouteflika pour un cinquième mandat est nationale et populaire. Et comme le peuple est la source de toute légitimité, les membres de l'institution présidée par Tayeb Belaïz auront du mal à trouver des arguments pour valider la candidature de M. Bouteflika qui est censé être élu par ce même peuple qui, aujourd'hui, l'a publiquement désavoué et donc délégitimé. Deuxième pression : celle provenant du corps médical. L'ordre national des médecins a lancé une mise en garde, le 5 mars, soit deux jours après l'expiration du délai de dépôt de candidatures, contre toute tentative de falsifier les certificats médicaux justifiant l'aptitude des candidats à la présidentielle d'assumer les charges inhérentes à la fonction présidentielle. L'organisation présidée par le professeur Mohamed Bekkat Berkani a rappelé les "règles de déontologie médicale nationales et universelles ayant présidé à la rédaction des certificats médicaux pour les candidats à la présidence de la République" tout en mettant en garde "les institutions nationales chargées d'examiner la validité de ces documents, de l'obligation pour le ou les auteurs de l'inscription au tableau de l'ordre des médecins". Le Pr Hocine Bouraoui, neurologue, a mis, lui aussi, son grain de sel, en publiant le 3 mars, sur Facebook, un certificat médical dans lequel il atteste : "Après le constat de l'impotence fonctionnelle effective et définitive, des troubles intellectuels aphasiques et articulatoires, ayant compliqué l'accident vasculaire cérébral ischémique survenu en 2013, déclare que l'état de santé de monsieur Bouteflika Abdelaziz, âgé de 82 ans, ne permet pas l'exercice de hautes fonctions inhérentes à la magistrature suprême." Mieux, il a rendu le Conseil constitutionnel destinataire d'une copie de ce certificat médical, tout en affichant sa disponibilité à "examiner et expertiser M. Bouteflika Abdelaziz, sur réquisition de l'autorité compétente". Il y a aussi l'intrusion dans ce débat médical du médecin suisse qui, dans une confidence au quotidien La Tribune de Genève, a soutenu, en parlant du cas Bouteflika hospitalisé aux HUG : "Affaibli, souffrant de problèmes neurologiques et respiratoires, le président algérien est sous menace vitale permanente." Des avis autorisés qui battent en brèche, et frontalement, la thèse d'un Bouteflika affaibli par la maladie mais capable de gouverner. Il y a aussi la pression des hommes de loi D'abord, le millier d'avocats qui, le 5 mars, ont organisé une marche en scandant des slogans comme "La défense refuse la violation de la Constitution", suivie d'un rassemblement devant le Conseil constitutionnel pour rappeler à ses membres "leur responsabilité devant l'Histoire, et leur devoir de garants du respect de la Constitution". Ensuite, 7 magistrats membres du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui exhortent le président Bouteflika à renoncer au 5e mandat et demandent au Conseil constitutionnel d'appliquer l'article 102 de la Constitution et l'article 28 de son règlement intérieur. Enfin, les membres du Conseil constitutionnel peuvent être aussi soumis à la pression inverse exercée par les partisans irréductibles du chef de l'Etat pour valider la candidature de ce dernier. C'est dire la posture très inconfortable dans laquelle se trouvent les membres de cette vénérable institution de la République qui sont pris entre le marteau d'une multitude de pressions et l'enclume du devoir de dire la loi. "Le Conseil constitutionnel doit être neutre pour faire une bonne lecture de la Constitution et de la loi électorale", assure le constitutionnaliste Fawzi Oussedik qui a cité plusieurs articles de loi militant pour l'irrecevabilité de la candidature de Bouteflika pour un 5e mandat tout en appelant à l'application de l'article 102 de la Constitution.