Raconte-arts 2019 vient de clore sa 16e édition. Ce festival qui veut raconter les arts de toutes les belles manières possibles, en y associant les villageois qui l'abritent et en les faisant fusionner avec les artistes qui l'animent, est né d'une idée, d'un état d'esprit lancé par un petit groupe d'"agitateurs culturels" dont Denis Martinez, rencontré à Sahel, où il a élu domicile du 19 au 26 juillet. Liberté : Raconte-arts a soufflé cette année sa 16e bougie. Comment est né ce projet ? Denis Martinez : Raconte-arts est une idée qui a germé dans notre esprit il y a quelques années déjà et que nous avons démarré en 2004. À cette époque, la situation était propice à notre idée de faire bouger les choses par l'art dans nos villages kabyles tout en préservant l'esprit des "anciens" du village qui l'abrite et les valeurs traditionnelles héritées. Nous n'étions pas très nombreux et cet esprit était facile à préserver, ce qui n'est plus tellement le cas aujourd'hui. Est-ce à dire que Raconte-arts a dévié de sa trajectoire ? Non, on ne va pas dire qu'il a dévié, loin de là, seulement, aujourd'hui, nous sommes plus nombreux à le soutenir et encore plus nombreux sont les artistes qui veulent y participer, et là, l'esprit initial de ce festival se retrouve submergé par d'autres états d'esprit et ça devient plus compliqué à maîtriser. Je suis ravi de le voir susciter autant d'engouement chez les gens qui viennent de partout le visiter ou carrément s'y produire en toute liberté, mais d'un autre côté, j'ai peur que cet engouement ne soit parfois nuisible à l'idée initiale qui est de faire associer les gens du village ou qu'il ternisse un peu cette envie première de communion qu'on veut créer avec le village, dans le souci de partage et le respect de l'autre. Justement, le point de départ a toujours été tajmaât, pourquoi ? Effectivement, le but est de créer ce lien entre les anciens et les plus jeunes à travers l'art et la culture. Tajmaât est un lieu hautement symbolique où les plus vieux, les anciens du village, se retrouvent et discutent entre eux ; nous avons voulu en faire un lieu de rencontres aussi avec les plus jeunes pour symboliser la "transmission" par l'art, mais dans le respect des traditions ancestrales. Certains artistes ont bien compris notre démarche et notre esprit et abondent dans ce sens par leur travail artistique fidèle à l'idée de respect et de transmission, alors que d'autres ont transgressé certaines règles et font n'importe quoi n'importe où et ça c'est inadmissible car contradictoire à l'esprit et l'image de Raconte-arts. Il s'agit de liberté d'expression rétorqueront certains... Certes, le festival Raconte-arts s'est d'abord voulu un espace de liberté d'expression comme vous dites, mais cela ne signifie pas la transgression de certaines règles de conduite, ni l'agression par certains actes dits "culturels" alors qu'ils sont bien loin de l'être. Il faut que les gens comprennent que ce festival ne peut avoir lieu sans l'adhésion totale du village qui l'accueille. Tout doit se faire dans le respect des villageois et dans l'esprit de la rencontre, de la communion et du partage. La culture n'est pas un "défouloir" et ce festival n'est pas fait pour que certains jeunes en mal d'espace d'expression chez eux viennent y déverser leur "trop-plein", sans prendre en considération les règles de respect des lieux et la quiétude des villageois qui sont certainement ravis d'accueillir un tel festival. Un mot à l'attention des jeunes artistes férus de Raconte-arts ? Il faut que nos jeunes comprennent l'esprit de Raconte-arts et respectent les lieux où ils se produisent. La liberté c'est aussi le respect des autres et le respect des lieux. Ils ne doivent pas faire n'importe quoi, n'importe où sous prétexte de "liberté d'expression". Il faut qu'ils sachent par exemple que les bancs, le parterre, les murs de cette tajmaât sont nés de la sueur de ces "anciens" qui ont tout bâti de leurs mains par amour pour leur village et pour préserver un patrimoine culturel ancestral qu'ils veulent transmettre à la nouvelle génération. Une histoire et un passé à respecter et à sauvegarder. Si nos jeunes n'ont pas compris ça et viennent ici pour juste se défouler, c'est qu'ils n'ont rien compris à l'esprit de Raconte-arts.