Parmi les réalisateurs nord-africains invités à Locarno, Brahim Tsaki on le repère toujours dans un coin en train de savourer le plaisir des retrouvailles avec ses connaissances. Tsaki fait partie de ceux qui ont le plus ému les festivaliers avec Histoire d'une rencontre (1980). Il a aussi contribué à corriger la vision exotique sur les pays invités, représentée dans des cartes postales donnant à voir un paysan avec un âne ou une danseuse du ventre, que la DDC, partenaire du programme Open Doors, a entretenue et diffusée. Projeté, juste l'avant-dernier jour du festival, Histoire d'une rencontre… n'avait pas drainé beaucoup de monde. Mais, ceux qui étaient présents étaient touchés et vibrés par ce qu'ils ont vu à l'écran. C'est certainement pour cette raison que la salle n'a pas attendu la fin du défilement du générique pour applaudir sincèrement et amicalement. La présence de Tsaki, reparti quelques jours avant la projection de son film, aurait donné plus de charme et de magie. En tout état de cause, il est très difficile de maîtriser ses mains devant cette histoire émouvante, qui s'est déclinée sur un fond de décors naturels magnifiques. Les cadrages et l'exploitation de la lumière révèlent une grande maîtrise de la photographie. Incontestablement, la trouvaille la plus originale est l'histoire elle-même : celle de deux enfants sourds-muets. “Elle, la fille d'un ingénieur pétrolier américain. Lui, le fils d'un paysan algérien. Ils se rencontrent et parviennent à communiquer, au-delà de toutes les barrières culturelles qui les séparent.” Mais cela n'aurait pas été possible sans les choses essentielles, humaines, imaginées par Tsaki, qu'ils partagent : le handicap, l'absence des mamans, la solitude, l'indifférence de la famille et, surtout, le poids du contexte économique national et international, qui fait que leur rencontre soit éphémère et leur amitié impossible. L'histoire de ces deux adolescents, qui cherchent réconfort, compréhension et équilibre en rêvant et en construisant une amitié, dévoile en arrière-plan une société engagée dans une voie incertaine et une époque qui a déjà commencé sa décadence. Faut-il rappeler qu'en moins de 8 ans, après la réalisation de ce film, le vent de liberté, de remise en cause d'un système mondial et de quête de nouveau sens, représentés dans cette œuvre, a commencé à souffler ? Tsaki, en visionnaire, pose même la problématique de l'avenir des pays producteurs de pétrole, après l'extinction des flammes et le tarissement des puits. Un sujet qui préoccupe sérieusement les pays consommateurs et que les producteurs commencent à peine à aborder. Pour traduire ces idées et cette réflexion avec l'outil cinématographique, Brahim Tsaki a usé de son talent de cinéaste inspiré. Il a opté pour une narration plus iconique que langagière. La plupart des dialogues étaient muets. Une manière de faire un clin d'œil à Chaplin et au début du cinéma. L'histoire est proposée à travers surtout des plans panoramiques qui respirent le parfum de la liberté et invitent à une vision globale. On y décèle aussi quelques délicieux mouvements latéraux de caméra pour introduire des éléments du décor ou des personnages qui, parfois, sortent du champ, alors que, d'autres fois, la caméra va les chercher et les filmer à travers des grillages symbolisant l'emprisonnement, qui est également celui de la société et du monde. En parlant d'emprisonnement, ce film, parmi tant d'autres présents à Locarno, vient de casser les prismes ethnocentriques et absurdes, à travers lesquels l'Occident continue à regarder l'Afrique du Nord, et proposer un véritable dialogue. T. H.