Le stand de l'"Esprit Panaf" du Sila a accueilli, avant-hier, plusieurs auteurs et universitaires autour du thème "L'écriture et l'expression des limites", où il a été question de colonisation, des écrivains algériens de la décennie noire, ou encore de l'expression de la folie de chez David Diop et Maissa Bey. Olivier Le Cour Grandmaison, professeur en sciences et philosophie politiques, est revenu sur son ouvrage L'empire des hygiénistes (Fayard), qui traite de l'exploitation des "indigènes" par les forces coloniales en mettant en exergue des "aspects peu connus des pratiques de l'envahisseur français". Par ailleurs, l'auteur a également décortiqué Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad, qui a détruit, selon lui, "l'idée selon laquelle la colonisation a pour mission de civiliser les colonisés. C'était une mise en réalité destinée à faire entendre à ses contemporains britanniques les réalités de celle-ci". Tristan Leperlier et Sabrina Fatmi-Sakhri se sont penchés, respectivement, sur la place des écrivains de la décennie noire et la notion de témoignage, et l'expression de la folie chez Maissa Bey (Nulle autre voix), Samir Toumi (L'effacement) et David Diop (Frères d'âme). Sociologue, chercheur en littérature, Tristan Leperlier s'est intéress aux écrivains de la décennie noire en se demandant si "les œuvres de tous ces écrivains doivent être considérées uniquement comme des témoignages". Ce serait en effet péjoratif de voir en ces écrits "une littérature de l'urgence", car ça reviendrait, selon le chercheur, "à mettre sous la même coupe tous les livres de cette période". "En fait, a-t-il, poursuivi, il y avait peu de témoignages durant les années 90. Par contre, les écrivains eux-mêmes étaient des témoins. Ils produisaient un contre-discours en antinomie avec le discours dominant". Leurs discours viennent aussi conter ceux des sociologues et des journalistes, du fait de la teneur "intime", qui s'en dégage. Pour Sakhri de l'Université d'Alger 2, le destin de l'homme, "qui le fait franchir les limites possibles du faisable", fait basculer les parcours des personnages de Nulle autre voix, et Frères d'armes. "La narratrice, dans Nulle autre voix, met le doigt sur son impuissance face aux forces extérieures qui la dépassent et qui ne sont autres que la folie, d'un côté, et ce qui est déjà écrit, la destinée, el mektoub, de l'autre." À l'universitaire de se poser alors cette question : "L'homme est-il le jouet d'une force maléfique qui lui échappe et qui le fait franchir toutes les limites possibles du faisable ? Le roman de Maissa Bey semble nous dire qu'il faut avoir la force de dire ses limites et de les affronter, pour pouvoir se regarder soi-même." Ce constat s'applique également au roman Frères d'âme, de David Diop. Alfa Ndiaye sombre dans une folie meurtrière vengeresse contre les Allemands, à la suite de la mort de son ami. "David Diop, en mettant en relief l'idée de la folie, à caractère individuel, la déjoue, et démontre à quelle point elle peut être dérisoire comparée à la folie qu'est le cataclysme de la guerre mondiale", a-t-elle soutenu.