Il a démarré à vive allure. À la vitesse d'une Volkswagen, une marque dont il était le patron en Algérie. Il voulait arriver vite, quitte à brûler les feux... Et il est arrivé. Par son sens des affaires, mais surtout grâce à sa proximité avec le clan Bouteflika. Avant une sortie de route aussi spectaculaire que son ascension fulgurante... Au cœur de graves accusations dans le dossier du montage automobile, à l'instar de plusieurs autres patrons de concessions et d'usines, le P-DG du groupe Sovac, Mourad Oulmi, aura réussi à bâtir, après plus de 22 ans d'activité, une représentation forte des prestigieuses marques du géant de l'automobile allemand Volkswagen. Sorti de l'anonymat, il a pu, en un laps de temps relativement court, à intégrer le cercle restreint des hommes d'affaires algériens les plus en vue, malgré son jeune âge. Né le 14 juin 1967 à Alger, marié et père de trois enfants, Mourad Oulmi a fait ses études à Alger où il a décroché un diplôme d'ingénieur en mécanique à l'Université de Bab Ezzouar. Très ambitieux, il poursuivra ses études en France où il a obtenu deux autres diplômes, Master en ressources humaines et un diplôme (EMBA) et une maîtrise en administration des affaires, de l'Ecole des hautes études commerciales de Paris. Enseignant dans un lycée d'Alger, Mourad Oulmi se souvient encore de sa jeunesse, lui qui prenait le transport en commun pour rentrer chez lui. L'ambition dans le sang, il s'aventure dans le secteur de l'automobile en 1998 en créant la société Sovac, devenue, cinq ans plus tard, le représentant officiel de Volkswagen en Algérie. "Mourad Oulmi est connu pour son ambition. Il a su gagner la confiance de ses partenaires allemands en introduisant avec beaucoup de succès des marques auparavant méconnues du consommateur algérien à l'exemple de Seat et de Skoda", nous confie-t-on au sein du groupe. Après ses premiers pas avec le groupe Volkswagen, il s'installe à El-Madania, sur les hauteurs d'Alger. Trois ans plus tard, M. Oulmi délocalise ses locaux à El-Achour, à Draria, où il a installé le groupe Sovac, d'autant qu'il venait de lancer la marque Skoda. Son partenariat avec le groupe Volkswagen s'agrandira davantage. En 2007, M. Oulmi intègre l'Association des concessionnaires automobiles algériens (AC2A), présidée alors par le patron du groupe Ival, Mohamed Baïri. M. Oulmi en assurera, d'ailleurs, la présidence en avril 2014, avant de devenir vice-président. Née pour assainir une activité autrefois livrée à l'anarchie et à la concurrence déloyale, cette organisation aura permis à ses adhérents de mieux développer l'activité et d'instaurer un climat de transparence, notamment en publiant régulièrement les chiffres des ventes, alors que l'Algérie n'importait, à l'époque, que 75 000 unités/an. Son entourage immédiat témoigne que l'homme "était considéré comme l'un des piliers de la profession automobile grâce au travail accompli au sein de l'AC2A dans le cadre de la professionnalisation des métiers de l'automobile", affirmant qu'il "faisait partie de ces jeunes patrons qui ont investi dans la ressource humaine et la jeunesse en confiant la direction des marques représentées à des jeunes diplômés". Oulmi, l'homme qui compte Le patron de Sovac profite de ce climat d'affaires et installe la marque ibérique Seat en Algérie. Du marché particulier, en passant par la commande publique florissante, jusqu'aux ventes au Salon international de l'automobile d'Alger, le groupe Sovac gagne du terrain et élargit son réseau de distribution pour répondre à la forte demande du marché. S'il était évident de vendre les voitures sous le label Volkswagen en Algérie, il en était moins pour les marques Skoda et Seat, dont les Algériens se méfiaient à cause d'un passif lié au service après-vente inexistant. C'est alors que M. Oulmi investit sur de jeunes directeurs de marques, dont la moyenne d'âge ne dépassait pas 30 ans. Cette incursion réussie dans un monde autrefois fermé au seul marché de l'occasion, c'est-à-dire jusqu'au début des années 2000 quand le gouvernement avait décidé d'interdire les importations des véhicules usagés, a constitué pour le patron de Sovac un virage décisif. Un virage qu'il négociera difficilement, certes, mais qui lui permettra d'ouvrir d'autres horizons au groupe, allant jusqu'à introduire la marque Porsche en Algérie. Volkswagen ne pouvait rêver mieux pour faire de l'Algérie une porte d'entrée en Afrique du Nord. Les différents patrons du groupe Volkswagen n'ont jamais cessé de lui témoigner leur confiance, y compris au moment des turbulences que le groupe Sovac a traversées. Cela vaudra une carte de visite à M. Oulmi et à son groupe qui, désormais, s'est imposé à l'international grâce à l'événementiel. Pour donner du punch à son groupe, Mourad Oulmi s'installe aux Grands-Vents. Non pas par souci d'espace, mais pour répondre à la charte graphique du groupe allemand qui devient de plus en plus exigeant en termes de visibilité. Des showrooms modernes, en passant par de luxueux terminaux pour les marques Audi et Porsche, le patron de Sovac démultiplie les succursales et les points de vente. Il finira par créer des filiales pour le groupe, une académie de formation et des sessions de formation à l'étranger chèrement payées par la maison-mère pour la qualification de son personnel. De l'île de La Jatte à Berlin Cette ascension vaudra à Mourad Oulmi, durant les grands jours de l'automobile, notamment quand l'Algérie importait entre 300 000 et 500 000 véhicules/an, une notoriété à l'international. Désormais, Sovac devient un groupe qui compte parmi les leaders du marché automobile algérien. Notamment entre les années 2012-2014 où le marché algérien, le troisième en Afrique (après l'Egypte et l'Afrique du Sud), a explosé avec un montant d'importations avoisinant 7 milliards de dollars. Mais très vite, Mourad Oulmi sera déstabilisé par une première révélation du journaliste français, Nicolas Beau, qui affirmait, en 2014 dans son investigation, que le patron de Sovac avait acheté, en 2007, l'appartement de l'ancien président français Nicolas Sarkozy, qui était, par ailleurs, en exercice, situé sur l'île de La Jatte. Les déboires ne font que commencer pour le patron de Sovac. Entre-temps, le marché bascule avec l'instauration des quotas d'importation des véhicules neufs. L'annonce émanait de l'ex-ministre du Commerce Amara Benyounès qui, lors du Salon de l'automobile d'Alger, affirmait que "l'Algérie était devenue un parking à ciel ouvert". Chevauchement sur chevauchement de prérogatives, le ministre de l'Industrie et des Mines de l'époque (actuellement en fuite) Abdeslam Bouchouareb impose sa vision, sans consulter les professionnels du secteur. Ce dernier instaure un cahier des charges en se basant sur une disposition de la loi de finances complémentaire de l'année 2014 qui stipule que les concessionnaires ne pouvaient importer des véhicules neufs que s'ils investissaient dans une activité industrielle ou semi-industrielle. Pris de court, Mourad Oulmi voit ses importations bloquées. Cette décision provoquera une forte tension diplomatique entre Alger et Berlin, à tel point que l'ambassadeur d'Algérie à Berlin est convoqué au ministère allemand des Affaires étrangères à cause du blocage de 1 800 voitures Volkswagen. Les Allemands iront jusqu'à évoquer un favoritisme envers les Français dont le blocage des véhicules a été levé au lendemain de la visite à Alger de l'ancien ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius. Des soupçons et des accusations... à la prison De guerre lasse, Mourad Oulmi se soumet au cahier des charges et dépose son dossier, en 2016, pour lancer son usine de montage. Echec et mat, le dossier est bloqué. Il aura fallu du temps pour que l'ancien ministre de l'Industrie cède et "accepte" la signature du contrat entre le Crédit populaire d'Algérie (CPA) et le groupe Sovac. Les soupçons de corruption pesaient déjà sur les constructeurs automobiles et le patron du groupe Elsecom, Abderrahmane Achaïbou, ne tardera pas à lâcher une bombe, affirmant que M. Bouchouareb lui avait demandé de l'argent pour obtenir un agrément. Un contexte défavorable pour M. Oulmi et les autres prétendants bloqués, soit près de 80 dossiers mis au placard au ministère de l'Industrie. À peine l'usine lancée en 2017, alors que les soupçons fusent de partout, le patron de Sovac est sous les feux de la rampe. L'arrestation d'Ali Haddad, ex-président du Forum de chefs d'entreprise (FCE), dont Mourad Oulmi assurait l'un des postes de la vice-présidence, donnera lieu à des enquêtes approfondies de la Gendarmerie nationale. Inquiété au plus haut point, le patron de Sovac sera arrêté le 13 juin 2019. Traduit devant la justice, il sera placé sous mandat de dépôt et incarcéré à la prison d'El-Harrach. Les chefs d'inculpation retenus à l'encontre de Mourad Oulmi sont nombreux au point d'éclabousser l'ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia, deux ex-ministres de l'Industrie, des commis et de hauts cadres de l'Etat, ainsi que des cadres de sa société. Le réquisitoire sera lourd : 15 ans de prison ferme pour le patron de Sovac. Son épouse, qui vit à Paris avec ses enfants depuis des années, a eu droit au même tarif que M. Bouchouareb et s'en sortira avec une peine de 20 ans de prison et un mandat d'arrêt international. Le sort de Mourad Oulmi sera scellé aujourd'hui et celui de Sovac avec...