À travers son ouvrage, l'auteur met l'accent sur l'aspect spontané du Hirak, comme pour taire des voix qui s'élevaient en accusant le mouvement d'être manipulé, à la solde de parties locales ou étrangères. Mais estime-t-il également que "face à la baïonnette, il n'a pas réussi à éviter la confiscation de sa souveraineté. Il a maintenu, dans la dignité et le pacifisme, la pression, mais n'a pas atteint les objectifs de sa révolution. C'est pourquoi elle est inachevée". De l'avant-Hirak aux dernières heures des potentats du système, en passant par les "fausses notes" qui l'ont entachée, la révolution du 22 Février est relatée dans l'ouvrage du juriste de formation et professeur à l'université d'Oran, Abdelhafid Oussoukine, 2019 en Algérie, chronique d'une révolution inachevée, des éditions Enadar. Etouffé pendant des décennies, le sursaut populaire qu'a connu l'Algérie en 2019 est la conséquence de plusieurs décennies, depuis l'indépendance, du despotisme, de la corruption, de l'autoritarisme, du populisme, des inégalités sociales et la liste est encore longue... À travers 400 pages, l'auteur met l'accent sur l'aspect spontané du Hirak, comme pour taire des voix qui s'élevaient en accusant le mouvement d'être manipulé, à la solde de parties locales ou étrangères. "L'idéologie faisait défaut dans la revendication générale. Le soulèvement n'a pas fait partie d'un plan préétabli et bien préparé. C'était un acte spontané, une explosion soudaine de colère refoulée et la frustration accumulée sous des régimes répressifs des décennies durant. La révolution n'était ni islamiste ni nationaliste." Le Hirak s'inscrit également dans le long processus entamé dans les années 80 par les Algériens en révolte contre un régime qui a changé de façade en gardant les mêmes principes. Les luttes sont les mêmes, les revendications aussi, mais la révolution du 5 Octobre 88 "a été confisquée par les castes militaire et civile de l'ancien FLN, qui ont réussi à se maintenir au centre et à la périphérie du pouvoir". Puis vint la déferlante terroriste de la décennie noire qui a enseveli toute lueur d'espoir sur son passage. Ce 2e "Printemps algérien sera-t-il le bon ?", écrit Oussoukine en reprenant les propos de Noureddine Boukrouh. Son atout serait, poursuit l'auteur, sa véhémence et sa cohésion, "malgré les épreuves du temps, les manœuvres et autres pressions provocatrices ou répressives". L'intelligence d'un peuple déterminé, réfléchi, conscient des enjeux et de la nécessaire rupture avec un système qui a plié l'Algérie, ses enfants, et pillé ses richesses. Mais le Hirak a aussi connu des moments de tensions, instillés par les partisans de la répression. À l'instar de Kameleddine Fekhar, mort en détention, emprisonné pour une phrase : "L'administration pratique une ségrégation contre la population", l'emprisonnement des détenteurs de l'étendard amazigh, et l'apparition du slogan "Novembria-Badissia", une "offense à l'histoire" titre l'auteur dans le troisième chapitre du livre, "Manifestations". Par ailleurs, Oussoukine dresse le portrait du président déchu Bouteflika. Manipulations, "fragmentation de l'opposition politique, contrôle des médias, utilisation de la rente pétrolière pour assouvir les appétits des oligarques". La chute de celui qui voulait mourir sur le trône n'en sera que plus vertigineuse. Le lecteur retrouve aussi une liste de tous les anciens ministres, responsables et dignitaires impliqués dans des histoires de corruption. Il y insère des anecdotes, leur CV, parfois falsifié, leurs mensonges et leurs humiliantes condamnations par la justice, avant de s'attarder sur l'élection présidentielle du 12 décembre 2019. Pour Oussoukine, "face à la baïonnette, le peuple n'a pas réussi à éviter la confiscation de sa souveraineté ; il a maintenu, dans la dignité et le pacifisme, la pression mais n'a pas atteint les objectifs de sa révolution. C'est pourquoi elle est inachevée".
Yasmine Azzouz "2019 en Algérie, chronique d'une révolution inachevée" d'Abdelhafid Oussoukine, éditions Enadar, 2020, 475 pages, 1500 DA.