Le Sila de cette année n'aura pas lieu.Pour garder le lien entre écrivains, éditeurs et lecteurs,Liberté ouvre ses colonnes et leur donne la parole... Par : AKLI TADJER ECRIVAIN Le Sila, la grande librairie éphémère d'Alger, n'ouvrira pas ses portes cette année à cause du Machin, fossoyeur de manifestations culturelles dans le monde. C'est une catastrophe et j'en ai les larmes au cœur car c'est un évènement unique. Et j'en ai parrainé des salons du livre dans les provinces de France, et j'ai participé à maintes reprises à des causeries littéraires dans ces mêmes salons, mais le Sila c'est autre chose. Pas quelque chose d'unique mais c'est autre chose d'assez indéfinissable. C'est une foire et la fête aux livres dont certains titres sont introuvables en Europe, mais pas seulement, je suis chaque fois émerveillé par cette jeunesse avide de savoir qui va de débat en débat se nourrir d'échanges avec les auteurs. Je crois que mes plus belles émotions d'écrivain, je les dois au Sila. Je sens bien qu'en écrivant ces quelques lignes, je ne suis pas objectif car c'est le cœur plus que la raison qui parle. Pas grave, je ne prétends à aucune objectivité. Oui, c'est un bonheur lorsque des étudiantes ou des étudiants m'abordent pour me dire que leurs enseignants les font travailler sur mes livres, Le Porteur de Cartable, Il était une fois...peut-être pas, La vérité attendra l'aurore, des ouvrages publiés dans des maisons d'édition d'Alger. Ils me posent des tas de questions auxquelles je n'ai pas toujours de réponse et ça les amuse. Et je ris de me savoir si ignorant de mes romans. Un des souvenirs les plus marquants est cette brève rencontre avec une étudiante en lettres. Elle bouclait sa dernière année de master et avait pris pour sujet La Reine du Tango. Petite, timide, impressionnée peut-être, elle m'avait posé quelques questions puis avait été avalée par la foule. Quelques mois plus tard, elle m'envoyait sa thèse. C'était d'une clarté, d'une intelligence, d'une subtilité, que j'en étais resté ébahi. C'est cela aussi la magie du livre : se découvrir à travers le regard de l'autre. Mais le Sila n'est pas qu'un lieu d'échanges, c'est un espace de liberté si rare en Algérie qu'il faut le préserver car un joyau. Le Sila est aussi pour quelques jours le carrefour des cultures du monde et des retrouvailles éditeurs et auteurs. J'y ai fait la connaissance de collègues avec qui je me suis fait une joie de revisiter les affres de notre monde jusqu'à pas d'heure. Bien sûr, il est beaucoup question de l'avenir de notre pays, de ses tumultes, de ses fracas, de ses faux espoirs ou de ses vraies raisons d'espérer. Voilà, le Sila est à mes yeux la fête du livre où je ne me contente pas de faire les promos de mes romans, c'est l'endroit où je me ressource, m'instruis de textes de jeunes auteurs algériens toujours plus nombreux chaque année. C'est pour cela que je maudis chaque jour le Machin qui cette année va me priver de mon Sila et des rencontres avec tous ces amoureux de la lecture. Pour quelques jours seulement, le Sila est l'ambassade des cultures du monde. Que meurt le Machin et que vive le Sila dans l'ivresse des mots, la liberté d'écrire et de penser.