C'est à peine croyable : Ali Benflis, connu pour être un enfant discipliné du système, vient de mettre les pieds dans le plat par des propos et une posture qui constituent assurément une “première” dans les mœurs papelardes du pouvoir. Car, jusque-là, les changements successifs de gouvernement se sont opérés en douce, habillés par des formules euphémiques et cocasses du genre “appelé à d'autres fonctions”. C'est une règle tacite admise, comme une rançon, par tous ceux qui tombent en disgrâce dans le régime. Jusqu'au jour où le défunt Kasdi Merbah, en septembre 89, avait bravé l'omnipotence de Chadli Bendjedid, en refusant son limogeage. Sa célèbre formule “H'na y mout Kaci” est passée à la postérité comme étant une première brèche dans l'usage consacré. Sid Ahmed Ghozali, des années après avoir “quitté la table”, rendra publique sa lettre de démission. Ahmed Benbitour poussera un peu plus l'audace en expliquant dans la presse les raisons qui l'avaient poussé à rendre le tablier à Bouteflika, “un homme avec qui il est impossible de travailler”. Mais la sortie de Ali Benflis restera comme un moment fort dans les mœurs du pouvoir algérien. Les images de l'ultime audience qu'il venait d'avoir avec le Président sont saisissantes. On y voit un Bouteflika figé dans son fauteuil, les deux mains nerveusement serrées entre les jambes et le visage fermé. Pour les besoins de la caméra, Benflis s'arrache un sourire plutôt jaune. Sur le perron de la présidence, il tord le cou à l'usage protocolaire. “Je tiens à rappeler à l'opinion publique que je n'ai pas démissionné”, lance t-il dans ce qui ressemble à une banderille plantée dans le dos du Président avec qui il venait à peine d'avoir une entrevue houleuse, émaillée de noms d'oiseaux, selon certaines indiscrétions. Une façon pour lui de donner juste le ton quant à sa volonté de déshabiller pour une fois les pratiques occultes du système dont la force et la pérennité viennent précisément de l'omerta érigée en règle sacrée. Hier, dans sa conférence de presse, il a clairement pointé, sans le nommer bien sûr, le rôle de Belkheir qui fait comprendre qu'il pouvait rester à la tête du gouvernement, à condition de démentir les informations lui prêtant des ambitions présidentielles, de cesser de savonner la planche au Président qui veut aussi avoir la haute main sur l'appareil du FLN pour les besoins de son ambition. Benflis a confirmé aussi ce que tout le monde sait, à savoir que sa marge de manœuvre était réduite pour prendre des décisions. Sur l'épineux dossier de la Kabylie, il nous apprendra, sans surprise non plus, que des personnes jouaient à fond la carte du pourrissement. Bref, des révélations qui n'en sont pas à vrai dire, tant tout le monde connaît par ouï-dire les us et coutumes du système. Mais le mérite de Ali Benflis est d'avoir déballé pour la première fois en public un peu du linge sale. Ce qui est de nature à faire avancer peut-être la culture politique dans notre pays. N. S.