Pourquoi parler d'un marché qui existe encore dans cette liste de sites disparus ? Avant, on allait à Boufarik pendant la Fête des oranges qui durait plusieurs jours, une fête foraine où grands et petits trouvaient leur compte. Aujourd'hui, il n'y a plus de fête, puisqu'il n'y a presque plus d'oranges, les arbres de la Mitidja ayant été coupés et remplacés par du béton. L'âme de la ville, Zenket El Arab, une rue marchande qui attirait clients et curieux des villes environnantes, où une foule bigarrée venait, chaque jour, comme en pèlerinage, n'existe plus, remplacée par des bancs où de vieux retraités nostalgiques se morfondent, guettant les bruits qui, jadis, animaient cette place. La grande salle de cinéma et de théâtre, le Colisée, construite en 1874, avec sa scène qui n'a rien à envier à celles des grandes villes européennes, qui a reçu des artistes de toute l'Algérie et d'ailleurs, qui a animé, dans le temps, les soirées ramadhanesques des familles boufarikoises, est à l'abandon depuis des années, et qui, même en cas de restauration, apprend-on, ne verra plus ses planches foulées par des comédiens, car elle n'a «plus»… d'issue de secours. Pendant le mois sacré du Ramadhan, le détour par cette ville était inévitable. On venait acheter la zalabia de Boufarik, une confiserie unique dont une seule famille détenait jalousement la recette. Le jour de l'Aïd El Fitr, on rangeait les grands fourneaux, les plateaux et les ustensiles utilisés dans la fabrication de cette friandise, pour toute une année. Aujourd'hui, la zalabia de Boufarik traditionnelle n'existe plus, on vend de la zalabia à Boufarik durant toute l'année. Chaque jour constituait une fête. Le jeudi, il y avait un marché de véhicules qui recevait, des milliers de personnes et qui assurait une recette non négligeable à la commune. Ce marché hebdomadaire n'existe plus, et le jeudi, devenu morne, depuis, on n'y parle plus de voitures. Le lundi, il y a (enfin un présent incertain !) le marché de la ville. «La fondation du Marché de Bou-Farik est évidemment contemporaine de l'organisation du beylik turc, elle daterait ainsi du milieu du XVe siècle de notre ère» (cité dans Bou-Farik, du colonel C. Trumelet). Pourquoi parler d'un marché qui existe encore dans cette liste de sites disparus ? La rumeur, qui se précise, dit qu'il sera déplacé. Pourquoi toucher à un marché qui existe à Boufarik depuis plus de six siècles ? Il s'y est trouvé quatre siècles et demi avant la fondation de la ville de Bou-Farik — ancienne transcription du nom de cette ville et qui signifiait : le pays où l'on recueillait le premier froment, précoce. Pour terminer cette liste «dramatique», une petite mise au point s'impose. Il y a, en plein centre de la ville de Boufarik, un collège mixte qui existe depuis la période coloniale et qui a vu défiler des générations d'élèves qui sont devenus, pour certains, des cadres de l'Etat : le CEM Victor Hugo. Ces derniers temps, des voix s'élèvent contre le maintien du nom de l'établissement. Il va, dit la rumeur bête et méchante, être rebaptisé. Victor Hugo n'est pas uniquement français, il fait partie du patrimoine culturel de l'humanité, comme Mohammed Dib ou Taha Hussein... Qui veut la mort de cette ville pourtant si belle, aux habitants au passé glorieux ? A qui profite cet isolement programmé imposé à cette région qui accueillait des visiteurs de toutes les contrées d'Algérie ? Qui veut faire de Boufarik une cité dortoir ? Tant de questions auxquelles les Boufarikois aimeraient bien avoir des réponses avant que leur ville ne disparaisse.