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la mise en mémoire de la guerre d'algérie empêchée
Le retour des noms propres
Publié dans El Watan le 07 - 11 - 2004

Dans La Gangrène et l'Oubli, rédigé en 1990-1991, trente ans après l'indépendance de l'Algérie, j'avais tenté de montrer comment cette guerre ne se finissait pas dans les têtes et dans les cœurs. Parce que, de part et d'autre de la Méditerranée, elle n'avait pas été suffisamment nommée, montrée, assumée dans et par une mémoire collective.
La mise en mémoire qui devait permettre l'apaisement par une évaluation rationnelle de la guerre d'indépendance algérienne avait été « empêchée » par les acteurs belligérants. Le lecteur pouvait découvrir comment s'étaient mis en place les mécanismes de fabrication de l'oubli de ce conflit inavouable ; comment les « événements » qui s'étaient produits entre 1954 et 1962 avaient structuré en profondeur la culture politique française contemporaine ; comment une frénésie de la commémoration de la guerre, en Algérie, avait fondé une légitimité militaire étatique appuyée sur un parti unique. En France, un oubli de la guerre, et en Algérie, un oubli de l'histoire réelle pour construire une culture de guerre... Bref, cet ouvrage d'histoire, La Gangrène et l'Oubli, entendait ne pas perdre de vue l'injonction de Freud - « N'oubliez pas l'oubli ! » - en proposant une réflexion sur le décalage entre ceux qui devaient légitimement oublier pour continuer à vivre après la guerre d'Algérie, ceux qui souffraient de cruelles réminiscences et ceux qui ne supportaient plus, de part et d'autre de la Méditerranée, les trous de mémoire voulus, volontaires de cette guerre. Près de quinze années plus tard, le travail de mémoire de la guerre d'Algérie a-t-il progressé, a-t-il franchi un seuil ?
Le retour des noms propres
En Algérie, après l'indépendance de 1962, le passé de la guerre anticoloniale de 1954-1962 a été violemment refoulé. L'histoire a été massivement utilisée pour justifier le sens d'une orientation étatique. Une histoire officielle s'est édifiée mettant au secret des pans entiers de la guerre d'indépendance. Disparaissaient ainsi le rôle des immigrés dans la construction du nationalisme algérien, la mise à l'écart des « berbéristes » et communistes dans les maquis ou l'engagement des femmes dans la lutte nationaliste. Les noms des principaux acteurs de cette révolution ont été effacés, avec pour mot d'ordre : « Un seul héros, le peuple ! » L'écriture de l'histoire fut confiée à des idéologues du parti du FLN et non à des historiens. Pour Ahmed Benaoum, dernier directeur en titre du Centre national des études historiques (CNEH), ce centre « tel qu'il a existé n'avait ni hypothèses, ni mission officielle que celle d'écrire et de réécrire une histoire instrumentalisée par le pouvoir politique ». Les auteurs des manuels scolaires accordaient une grande importance aux leaders religieux d'Algérie ou du monde arabe au détriment des fondateurs du mouvement indépendantiste algérien. Ainsi, jusqu'aux années 1990, Abdelhamid Ben Badis, le leader du mouvement religieux des oulémas, était présenté comme un acteur central du nationalisme algérien, « homme pieux, convaincu de l'arabité et de l'islamité de l'Algérie ». Un manuel de 2e AS lui consacrait sept pages ainsi que pour son successeur El Bachir Ibrahimi avec leurs photographies. La presse officielle, comme El Moudjahid ou El Chaâb, était un vecteur essentiel de propagation d'une histoire officielle. L'universitaire algérien Brahim Brahimi souligne ainsi : « Le FLN, détenteur de la légitimité nationale et guide de la Révolution algérienne, veille toujours sur la souveraineté nationale. Il s'approprie donc le secteur de l'information pour défendre la souveraineté nationale. » Jusqu'aux années 1990, le mode de commémoration de cette guerre provenait de la nécessité de s'imaginer des racines et des origines qui occultaient les pères fondateurs du nationalisme algérien des années 1930 (comme Messali Hadj ou Ferhat Abbas), puis les instigateurs du soulèvement anticolonial de novembre 1954 (Mohamed Khider, Mohamed Boudiaf, par exemple). Le passé se reconstruisait sans cesse pour structurer un présent où régnait un parti unique. En Algérie, d'autres lignes de mémoire commencent à se dessiner dans le cours de la tragédie que le PATS a connu tout au long des années 1990. La mémoire de cette guerre évolue. L'État perd progressivement le monopole de l'écriture de l'histoire. Sous un énorme titre - « 5 juillet 1962-5 juillet 1992, 30 ans d'amnésie » - barrant toute la une du quotidien El Watan, son éditorialiste écrivait, dès 1992 : « Trente ans, l'âge adulte, celui de la maturité. L'Algérie l'a atteint aujourd'hui. C'est pourquoi elle a le droit de savoir ce qui s'est passé pendant la longue période coloniale et durant les sept ans terribles de la guerre de Libération nationale. Qu'importent les forces et les faiblesses de tous ceux qui se sont jetés dans les batailles. Ce qui importe, c'est que soit rendue l'Histoire à la nation. L'Algérie, c'est aujourd'hui une quinzaine de millions de jeunes qui ont besoin de valeurs, de repères et de balises pour aborder le prochain siècle, forts de leur personnalité historique. » Des pères fondateurs du nationalisme algérien, longtemps ostracisés par le système du parti unique, sont sortis de l'ombre : l'aéroport de Tlemcen porte désormais le nom de Messali Hadj et l'université de Sétif, celui de Ferhat Abbas. Et, depuis la terrible tragédie qui secoue l'Algérie, des « chefs historiques » du déclenchement de l'insurrection de Novembre 1954, Hocine Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella et Mohamed Boudiaf (assassiné en juin 1992, alors qu'il était devenu président de la République) sont de retour dans l'espace public, politique. Les recherches autour de la terrible violence qui frappe ce pays ont été l'occasion de réexaminer des héritages historiques définissant le nationalisme algérien depuis ses origines. Les histoires héroïques, les légendes et les stéréotypes sont rejetés par la jeunesse algérienne, qui veut désormais savoir ce qui s'est réellement joué dans cette guerre de sept ans entre l'Algérie et la France. Qui veut savoir pourquoi un parti unique s'est installé. Qui veut comprendre pourquoi l'Algérie s'est progressivement enfoncée dans une terrible tragédie depuis janvier 1992 et pourquoi s'est installée une guérilla islamiste aux méthodes cruelles. La presse algérienne rend ainsi compte de rencontres ou colloques organisés autour de personnages comme Ferhat Abbas ou Messali Hadj : « On pourrait être tenté d'opposer à cet ensemble de signaux leur modestie, leur fragilité. En vérité, et au-delà des cas Messali ou Abbas et de la forte charge affective et politique qui les entoure, c'est bien un processus en cours qui signale la virtuelle obsolescence du contrôle politico-policier sur des pans entiers de l'histoire du pays. » La jeunesse d'Algérie ne comprend toujours pas pourquoi « on » a assassiné, le 29 juin 1992, un des pères de la Révolution algérienne, Mohamed Boudiaf... Dans les urgences du présent, les exigences de mémoire restent. L'écriture de l'histoire de la guerre d'Algérie ne fait que (re)commencer.
Les conditions d'un retour de mémoire
La conjonction de plusieurs facteurs peut expliquer le retour brutal en Algérie de cette mémoire longtemps dissimulée, non assumée. Le passage des générations joue d'abord un rôle essentiel. Au soir de sa vie, la militante algérienne Louisette Ighilahriz a eu envie de retrouver celui qui l'avait sauvée, et le général Jacques Massu, lui, a éprouvé le besoin de s'excuser avant de mourir. Un sentiment de culpabilité émerge enfin, en France, pouvant conduire à un processus de réexamen de cette histoire proche. De son côté, la nouvelle génération algérienne est avide de son passé. Avec la crise des idéologies, elle se tourne vers lui pour trouver des points de repère. Et la nouvelle histoire se fait par le récit des victimes et non plus par le discours autojustificateur de l'État. L'ouverture des archives, notamment militaires françaises, pèse dans cette nouvelle volonté de savoir. Les universitaires prennent désormais le relais des journalistes. La perception qui se dégage actuellement de la sortie de l'oubli tient en grande partie à l'émergence d'un travail historique. Beaucoup de documents de cette guerre sont désormais accessibles et une nouvelle génération de chercheurs, non directement engagés dans les combats de l'époque, apparaît. Ce passage du témoignage à la critique historique, de la politique à l'histoire permet à des peuples traumatisés, français et algériens, d'oser regarder le passé, de cesser de le mythifier ou de s'en détourner pour simplement le comprendre. Enfin, il y a des actes politiques : en juin 1999, l'Assemblée nationale française reconnaît la « guerre d'Algérie ». Et, en juillet 1999, le président algérien Bouteflika décide de donner le nom de l'aéroport de Tlemcen : Messali Hadj. Ce qui peut apparaître comme une forme de réhabilitation du père du nationalisme algérien.
Un retour conflictuel
Mais cela veut-il dire que l'Etat algérien appelle de ses vœux un retour critique sur les mythes fondateurs du nationalisme algérien ? Si l'on se penche sur le côté algérien de la guerre, qu'exhumera-t-on ? Un conflit fratricide entre les partisans de Messali Hadj (les messalistes) et le FLN, d'une violence inouïe, et qui s'est soldé par le massacre de Melouza en mai 1957 où plus de 374 villageois ont péri. Cet aspect est difficile à accepter. Pour preuve, un colloque sur Messali Hadj, annoncé à Batna pour les 16 et 17 octobre 2000, puis pour les 11 et 12 mars 2001, n'aura jamais lieu. Ces reports laissent transparaître en arrière-plan le refus du bureau de l'Organisation nationale des anciens moudjahidine (ONM) de Batna. De fait, dès l'annonce de la tenue de ce colloque, Rabah Belaïd, professeur d'histoire à la faculté de droit de l'université de Batna et initiateur de ce colloque, rencontre des difficultés avec le bureau de la wilaya de l'ONM. Le différend prend de l'ampleur. Rabah Belaïd est convoqué en février 2001 et auditionné par un juge d'instruction suite à une plainte déposée par ce bureau pour « propos diffamatoires à l'encontre des symboles de la Révolution et des chouhada ». Cette plainte a pour origine la communication donnée par Rabah Belaïd à un colloque sur Messali Hadj qui s'était tenu à Tlemcen le 30 mars 2000 et qui avait été reprise par plusieurs journaux. Dans cette conférence, l'historien avait traité d'« opportuniste » le groupe du CRUA-FLN et il avait abordé le massacre des habitants du village Melouza, dont des femmes et des enfants restés fidèles à Messali Hadj. D'autres polémiques, célèbres, ont vu le jour récemment autour du retour d'autres noms propres. Dans une déclaration à la chaîne qatarie El Djazira, à l'occasion de la célébration du 48e anniversaire du déclenchement de la Révolution algérienne, pour Ahmed Ben Bella « le congrès de La Soummam, célébré à grand bruit, a, en vérité, fait dévier la Révolution des objectifs tracés le 1er novembre ». Et il poursuivait sa déclaration en accusant le principal animateur et partisan du congrès de La Soummam, Abane Ramdane, de « trahison ». La veuve d'Abane a réagi violemment. A la question « que vous inspirent les propos de Ben Bella lorsqu'il affirme que le congrès de La Soummam est une trahison ? », elle répondait : « Ben Bella ne voulait ni des centralistes ni des unionistes. Il voulait la révolution strictement avec le PPA/MTLD. Il ne voulait pas que les autres tendances y participent. Ben Bella appelait les centralistes et les unionistes la racaille. Les propos de Ben Bella sont une aberration. La plate-forme de La Soummam est la première Constitution de l'Algérie. Ben Bella a de l'aigreur parce que le congrès s'est fait sans lui. S'il avait voulu, il aurait pu rentrer. » Interrogé à ce propos, l'historien Mahfoud Kaddache, tout en se disant scandalisé par les propos de Ben Bella, estimait que « c'est regrettable qu'un homme qui a fini par avoir le rang de chef d'Etat puisse faire ce genre de déclaration ». Pour M. Kaddache, le congrès de La Soummam avait réuni de nombreux représentants (Ben M'hidi et autres). « La zone I n'était pas représentée pour des raisons de sécurité. Celle des Aurès venait de perdre son premier chef, Ben Boulaïd », expliquait Mahfoud Kaddache. Quant aux gens de l'extérieur, « Abane Ramdane a envoyé une invitation à tous les responsables. Des personnes ont été désignées pour participer au congrès. Elles n'ont pas pu arriver sur les lieux pour des raisons de coordination de l'information. Des personnes de l'intérieur sont allées les accueillir dans un autre lieu. Si l'extérieur n'était pas représenté lors de cette rencontre, ce n'est pas parce qu'il ne reconnaissait pas ce congrès ou son artisan, mais parce qu'il y a eu un problème de communication. » Dans un autre registre, et à propos d'une date importante, celle de la signature des accords d'Evian, le 19 mars 1962, M'hammed Yazid, écrivait : « Le 19 mars, journée de la Victoire, mérite plus que commémoration et demande un moment de réflexion. Cette commémoration est, depuis l'indépendance, marquée par un cérémonial et une liturgie de pouvoir. Elle est utilisée pour justifier les situations du pays. Ce cérémonial et cette liturgie utilitaires sont devenus des instruments de mystification et d'imposture. Et c'est là qu'est l'explication de l'absence d'une adhésion de la population, particulièrement des jeunes, au rituel officiel de commémoration. » Mais en dépit de ces conflits mémoriels, cette mobilisation « historienne », notamment à travers la presse algérienne, est un formidable révélateur. La prise de conscience devrait permettre non seulement de dire ce qui restait tu, mais aussi de requalifier ce qui n'avait pas de nom. La mobilisation actuelle autour du retour des noms propres, en Algérie, sera-t-elle réduite à une agitation sans lendemain ou bien, au contraire, engage-t-elle une mutation importante dans les représentations politiques permettant d'écrire différemment l'histoire de cette guerre d'indépendance ? La question reste ouverte pour les années qui viennent.
B. S.


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