Entretien réalisé par notre correspondante à Tlemcen Amira Bensabeur La Tribune : Pourquoi a-t-on attendu si longtemps pour débattre de la poésie féminine en Algérie ? Fouzia Ioualen : D'abord, pour commencer, d'une part, l'esprit critique manquait dans nos rencontres ou espaces culturels, d'autre part, la scène était occupée par l'homme, l'écrivain ou poète, je veux dire le masculin algérien !! Il a occulté la création féminine qui était souvent marginalisée. Il y avait Mohamed Dib, Rachid Mimouni, Malek Haddad, Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, et bien d'autres. Par contre, les femmes étaient rares sur la scène pour conquérir l'espace. C'était une minorité. Les Zhour Ounissi, Nadia Guendouz, Assia Djebar, etc, ont été un exemple. Elles ont relevé un défi remarquable et courageux, sublime, et ont gravé leur place près de ces génies littéraires hommes. A mon avis, la société était hermétiquement fermée à ce sujet qui est la poésie féminine. La femme était bâillonnée, sa voix étouffée, exilée, voire menacée de mort durant une période. Mais cette femme avait sa création... Et il a fallu un déclic et une révolution des mentalités qui a libéré l'esprit de créativité chez nos poétesses pour exprimer leurs peines, joies, amours, sans censure, sans diktat... Qu'en est-il de la recherche ? Le facteur de motivation n'existe pas. L'environnement est souvent défavorable à tout esprit de recherche scientifique. Il y a incompatibilité entre le produit de recherche et le secteur utilisateur socioé-conomique. La poésie a-t-elle été tout le temps au service du chant populaire en Algérie ? Oui, bien sûr. On ne peut nier la relation entre la poésie de Sidi Lakhdar Benkhlouf, qui est un chef-d'œuvre et une référence pour la majorité de nos grands chanteurs de chaabi, et le chant populaire. On peut aussi citer Hizia de Benguitoun, enregistré il y a plusieurs années, la première fois par Hadj Benkhlifa, l'oncle maternel de Khelifi Ahmed. Ce n'est que vers la fin des années 1940 que Hizia est reconnu comme un véritable chef-d'œuvre de la littérature populaire et une riche source d'informations sur la culture locale de la fin du XIXe siècle. Benguitoun a été, en effet, un poète exilé et emprisonné sur l'île de la Nouvelle-Calédonie comme d'autres poètes tels que Mohand Oumhand qui, lui, a choisi d'errer loin de chez lui, à Annaba. Ce dernier fut également un maître en son temps. Grâce à lui, on a eu de grands interprètes qui ont repris ses poésies, tels le défunt Matoub Lounes et Aït-Menguellet. Y a-t-il un rapport entre la poésie et l'écriture ? Entre la poésie et l'écriture, le point commun est la plume et la conquête de l'encre ! Sauf qu'en écriture on décrit, on écrit sans cesse nos maux, on étale nos idées, tout comme la poésie d'ailleurs, sauf que celle-ci obéit aux règles de l'inspiration et du rythme. On illustre le mot. Je dirai simplement que l'écriture et la poésie se ressemblent mais ne s'assemblent guère. Chacune a son domaine. Que faut-il en Algérie pour encourager cette culture ? Il faut libérer les expressions et créer un espace, plutôt un climat, favorable à l'innovation, l'esprit critique et la curiosité scientifique. Il faut motiver les créatrices et les créateurs, leur offrir des facilités, privilégier le contact et encourager l'ouverture vers le monde extérieur. A mon avis, il faut investir dans les technologies de l'information, libérer les innovations, donner libre cours à l'imagination et démolir toutes les restrictions ou tabous qui entravent l'esprit de créativité. Il faut encourager l'édition pour rattraper le retard cumulé afin de rehausser le niveau intellectuel de la nation. En conclusion... L'esprit d'innovation et de créativité doit triompher chez l'intellectuel algérien pour sauver les futures générations et les libérer des complexes et crises identitaire, linguistique et civilisationnelle. D'un autre côté, il faut permettre à ces générations d'élargir leur vision et de découvrir d'autres horizons. Il est temps de mettre un terme aux conflits de générations. Et les intellectuels comme les artistes ont un rôle à jouer dans ce domaine. Mais, pour ce faire, il faut qu'ils aient un statut social qui protégerait leurs intérêts matériels et moraux, pourquoi pas une charte d'éthique qui définisse les droits et obligations de l'intellectuel algérien vis-à-vis de la société et des pouvoirs publics…