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Réflexion
Changer notre vision des autres
Publié dans Le Soir d'Algérie le 29 - 12 - 2014


Par Nour-Eddine Boukrouh
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L'appel de l'espace a de tout temps été ressenti par l'espèce humaine comme si elle venait de là-haut et qu'elle sait d'instinct qu'elle y retournerait sinon par le corps (en vie ou réduit à sa réalité première d'atomes), du moins par l'âme. C'est ainsi que se définit toute spiritualité : un regard porté vers le haut, une sensation de faire partie de son environnement naturel.
Le Coran tel qu'il se présente dans l'ordre chronologique place l'Homme dans un continuum cosmique, la Terre étant une des innombrables pièces d'un Univers immense, pulsant d'une vie inconnue et régi par des lois immuables : «Le ciel, nous l'avons construit par notre puissance et nous l'étendons (constamment) dans l'immensité» («adh-Dhariyât», 67e-51e, v.47) ; «Dieu retient les cieux et la terre pour qu'ils ne s'effondrent pas sur eux-mêmes. S'ils venaient à s'affaisser, qui donc en dehors de lui saurait les retenir ?» («Fatir»,43e-35e, v.41).
Les échanges entre le cosmos et l'Homme à travers le temps et les lieux sont attestés par les trois grandes religions : montée du ciel d'Enoch (Idris) chez les juifs, Ascension de Jésus chez les chrétiens et «al-Isra wa-l-«mi'raj» chez les musulmans. Les récits légendaires des anciens peuples (indiens, chinois, mayas, aztèques, égyptiens, africains...) en témoignent aussi qui font état de contacts mystérieux ou épiques avec des entités venues du ciel, dieux, démons, anges ou extraterrestres, récits qui ont fourni une matière si riche en vraisemblances qu'elle a donné lieu à une nouvelle théorie, celle des «Anciens astronautes».
Aucune mythologie, aucune religion n'a regardé à ses pieds pour chercher Dieu ou les Esprits dans les profondeurs de la Terre ou des océans ; toutes ont levé les yeux vers le ciel étoilé pour l'interroger silencieusement. C'est là-haut que se trouve le soleil qui les réchauffe, c'est d'en-haut que tombe la pluie qui féconde la terre qui les nourrit, et c'est de cette posture que sont nées l'astrologie, l'astronomie, puis la cosmologie moderne. Ce sont ces profondeurs sidérales que scrute le télescope Hubble bientôt remplacé par un autre, encore plus puissant, qui permettra à la science de voir à des milliards d'années-lumière ; c'est à son écoute que sont dédiées de nombreuses stations de réception et de captage de sons, bruits de fond et ondes en provenance de l'espace.
Puis le Coran situe l'Homme dans un continuum historique remontant aux premières communautés humaines. Nous ne savons pas tout du passé humain, des anciennes civilisations africaines, précolombiennes, indiennes et européennes, des prouesses inexpliquées comme l'édification de pyramides quasiment semblables en divers points de la Terre et de mégalithes défiant les capacités humaines de leur époque comme ceux de l'île de Pâques, de Stonehenge en Grande-Bretagne ou d'autres endroits d'Asie, d'Amérique et d'Europe. Il y a une vingtaine d'années, on a découvert à Göbekli Tepe, petite ville du Kurdistan turc, non loin de la ville de Kobané rendue célèbre par la résistance des Peshmergas à Daech, un temple vieux de 12 000 ans, c'est-à-dire datant de l'âge de pierre. Cette découverte archéologique a remis en cause tout ce qui était admis sur l'évolution de l'Homme et son processus de socialisation. La révolution spirituelle semble, dans ce cas précis, avoir précédé d'au moins trois millénaires la révolution du néolithique, période connue pour être celle où l'Homme a commencé à sortir de l'animalité.
Enfin, l'islam est venu clore un continuum religieux et prophétique dont le premier prophète mentionné par le Coran (lu dans l'ordre chronologique) est «l'homme au poisson» (Yûnus, Jonas) présenté comme étant du «nombre des gens de bien» («al-Qalam», 3e-68e v.48, 50). Puis viennent tour à tour les prophètes les plus connus : Nûh (Noé), Ibrahim, Hûd, Salih, Loth, Shû'ayb, Moussa (Moïse), Daoud (David), Suleyman (Salomon), Ayyûb (Job), Ishaq, Yaâkoub, Ismaïl, Issa (Jésus)... La plupart de ces envoyés n'étaient pas porteurs d'une législation ou d'un rite mais avaient pour mission d'appeler leurs peuples à la croyance en un Dieu unique, à des mœurs saines, au respect de la bonne mesure et du poids dans les transactions commerciales, à l'assistance des pauvres et à ne pas semer le désordre sur la Terre. Ceux d'entre eux qui n'ont pas cru au Message ou ont persécuté ses transmetteurs ont été châtiés par un déluge, un tremblement de terre, la foudre ou des ouragans, modes d'intervention compatibles avec l'idée qu'on peut se faire du «Seigneur de l'Univers».
Outre les prophètes connus ou non désignés nommément, le Coran fait allusion à des hommes «inspirés» ayant marqué leur temps par leur sagesse, leurs intuitions philosophiques, leur quête spirituelle, l'école de pensée qu'ils ont fondée ou leurs découvertes techniques. Loqman est l'un d'eux quoiqu'on ne situe pas avec précision l'époque et le lieu où il a vécu. Dieu lui ayant donné à choisir entre la prophétie et la sagesse, il a préféré la seconde. Le Coran dit à son propos dans la sourate qui porte son nom : «Nous avons effectivement donné à Loqman la sagesse» (57e-31e, v.12). Parmi les conseils donnés à son fils, ce Sage a dit : «Ne détourne pas ton visage des hommes et ne foule pas la terre avec arrogance car Dieu n'aime pas le présomptueux plein de gloriole. Sois modeste dans ta démarche et baisse ta voix car la plus détestée des voix est celle des ânes» (v.17 à 19). Au sens propre et figuré, doit-on comprendre. Il n'est pas impossible que d'autres grandes figures de l'humanité comme certains présocratiques, Bouddha, Confucius, Lao Tseu, Pythagore, Socrate lui-même ou d'autres personnages d'autres cultures et civilisations de l'Antiquité puissent trouver leur place dans cette galerie : «Certes, nous avons envoyé avant toi des Messagers. Il en est dont nous t'avons raconté l'histoire, et il en est dont nous ne t'avons pas conté l'histoire» («Ghafir», 60e-40e, v.78).
Le Prophète de l'islam (QSSSL) est qualifié du début à la fin de la Révélation d'«avertisseur analogue aux avertisseurs anciens» : «Nous ne t'avons envoyé qu'en tant qu'annonciateur et avertisseur pour toute l'humanité. Mais la plupart des gens ne savent pas» (Saba», 58e-34e, v. 28) ; «Il ne t'est dit que ce qui a été dit aux Messagers avant toi» («Fussilat», 61e-41e, v.43). Même quand il est devenu (après l'Hégire) chef de sa communauté et de l'Etat de Médine, il a gardé son statut d'Envoyé à l'ensemble de l'humanité. La religion qu'il est venu promouvoir s'inscrit dans le prolongement de celle d'Ibrahim, Moïse et Jésus, mais aussi dans la ligne de traditions religieuses antérieures. Le métaphysicien français René Guénon, converti à l'islam au début du XXe siècle sous le nom de Abdelwahid Yahia, est l'auteur d'une impressionnante œuvre dans laquelle il a réussi à faire converger vers un même sens les formes de spiritualité et de mystique connues et les religions monothéistes, les plaçant sous une égide commune, la «Tradition primordiale» («ad-din-al-hanif», la «religion naturelle»).
Le Coran ne donne pas d'indications sur les autres Ecritures en dehors de celles qu'on connaît mais on pourrait y inclure le Livre d'Enoch (Idriss) découvert parmi les Manuscrits de la mer morte, certains Evangiles écartés par l'Eglise, des textes assyriens dont se serait inspirée la Bible pour rédiger le Livre de Job ou encore les tablettes sumériennes qui rapportent neuf siècles avant l'Ancien Testament le récit de l'Eden, de la création du couple initial à partir de l'argile, de la tentation de la pomme et du «péché originel».
Au sujet d'Idris, on lit dans le Coran : «Et mentionne Idris dans le Livre. C'était un véridique et un prophète, et nous l'élevâmes à un haut rang» («Maryam»,44e-19e, v. 56, 57). Pour la Bible, Enoch, grand-père de Mathusalem, «fut soudain emporté par Dieu».
On peut estimer que Dieu a envoyé des prophètes et des religions aux hommes pour les conduire dans leurs premiers pas vers la formation des premières sociétés. Il fallait sortir les hordes et les clans qu'ils formaient de la phase des instincts, du stade de la cueillette et de la prédation, les informer de leur singularité dans le champ du vivant, leur suggérer une morale et leur imposer un code de conduite pour les socialiser et les mettre sur les chemins de leur haute destinée : devenir les «lieutenants de Dieu sur la terre» et de là dans l'Univers.
Elles n'étaient pas une fin en soi mais un passage obligé pour éduquer les hommes, les mettre sur le chemin qui mène à la réalisation des conditions assurant la conservation de l'espèce, son élévation sociale, morale et culturelle en vue du but cosmique qui commence à peine à nous apparaître grâce à la science et à la technologie.
Les peuples de l'Antiquité qui ont réussi à édifier des civilisations sont ceux qui, à partir de ces premières stimulations intellectuelles, ont développé des comportements favorables au bien général, à l'intérêt commun, à la vie économique et culturelle. L'idolâtrie, le paganisme, le fétichisme et la mythologie étaient une «djahiliya», une époque d'ignorance et d'injustice, de désordre et de tueries aberrantes comme pouvait l'être l'assassinat des filles dans l'Arabie préislamique.
L'attention qu'accorde le Coran dès les premières lignes dans l'ordre chronologique aux questions sociales comme la solidarité envers les pauvres, la protection des orphelins, l'affranchissement des esclaves, le respect des handicapés (épisode de l'aveugle où le Prophète a été rappelé à l'ordre par la Révélation), l'observance des poids et mesures, etc, est frappante.
Ces questions sont au centre de la croyance islamique et traversent de part en part le Coran, la foi n'étant pratiquement jamais dissociée de la notion de Bien. Le mot «abd» en arabe signifie «être humain» mais il est aussi employé dans le sens d'«esclave», abus de langage qui a été étendu au Coran alors que Dieu a accordé aux descendants d'Adam la préséance sur toutes les créatures, y compris les entités célestes, les Anges. Ce sont les Arabes de l'Arabie ancienne et même d'aujourd'hui qui sont des esclavagistes, pas le Dieu Tout-Puissant qui a fait de l'Homme son successeur sur la Terre et dans l'Univers.
L'islam est une reformulation, l'ultime, d'un Message ancien et universel qui a été perdu ou déformé : «Ce Coran est la confirmation de ce qui existait déjà avant lui» («Yunus», 51e-10e, v.37).
Il n'a cessé de l'affirmer à travers des dizaines et des centaines de versets mais les musulmans en ont quand même fait une religion ethnique, arabe et en ont déduit qu'ils étaient l'unique incarnation du divin. Pourtant Dieu ne dit pas dans le Coran qu'il a honoré le musulman ou le croyant mais l'Homme sans distinction de race, de couleur, de confession ou de sexe, c'est-à-dire le genre humain, tous les hommes et toutes les femmes de tous les temps et de toute la Création : «Il y a des couleurs différentes parmi les hommes... Parmi ses créatures, seuls les savants ont de la révérence pour Dieu» («Fatir»,43e-35e, v.28).
Les musulmans doivent changer leur vision des autres. Qui sont ces autres ? Ce sont toutes les personnes, toutes les idées, tous les comportements, toutes les choses et tout ce qui sort du champ de leur cosmogonie et de leur savoir traditionnel. Ce sont d'abord leurs propres coreligionnaires, chiites ou sunnites selon sa propre appartenance, les musulmans sociologiques non pratiquants, laïcs ou athées, les femmes, les Arabes non musulmans, les fidèles des autres religions, les non-musulmans de toute la Terre et peut-être aussi les extraterrestres, les formes d'intelligence que nous sommes appelés à rencontrer dans un futur plus ou moins proche car un Univers aussi incroyablement illimité ne peut pas avoir été conçu pour nous seuls.
Sans parler des hypothèses issues de la théorie des Cordes qui postulent la possibilité d'autres univers.
Ils ont pu être avant l'ère moderne, comme ils peuvent le redevenir dans l'ère postmoderne, «la meilleure communauté sortie aux hommes». Non en vertu de quelque privilège héréditaire ou d'un favoritisme divin, mais grâce aux performances culturelles, sociales, économiques et technologiques dont ils ont fait montre quand ils l'étaient, et dont ils doivent faire montre de nouveau s'ils veulent le redevenir. Ce ne sera possible que s'ils redeviennent un moteur de l'Histoire, un exemple d'«authenticité et d'efficacité» pour les autres nations. Or, ils en sont bien loin, une minorité d'entre eux s'étant chargée d'achever de ruiner leur image auprès du reste de l'humanité. N'était le pétrole, ils seraient les derniers en tout. Les statistiques relatives à leur production intellectuelle, leur PIB ou leur IDH sont disponibles, de même que le bilan de la guerre mondiale intra-islamique qui n'est qu'à son commencement.
Inconscients des mutations qui préparent le monde à rentrer au plus tard le siècle prochain dans des formes de vie inédites caractérisées notamment par un commandement international, fédéral, unifié ou autre, les musulmans ne sont pas à la recherche des voies et moyens de s'adapter aux évolutions qui se dessinent. Au contraire, ils vont dans la direction opposée et travaillent à coaliser le monde contre eux. L'idée de chasser les musulmans d'Occident, de les «déporter» en masse, a germé dans l'esprit des islamophobes dont les rangs grossissent après chaque attentat terroriste, mais elle est désormais un sujet de débat public. Elle pourrait devenir un programme politique.
Les «hommes de religion» attitrés ou improvisés s'échinent dans tous les pays arabes à présenter une vision étriquée de l'islam au moment où il a le plus besoin d'être repensé pour offrir au monde un visage dans lequel il pourrait se reconnaître ou dont il pourrait s'accommoder. Se représentant être des proches de Dieu ou se présentant comme les «héritiers des prophètes» (warathat al-anbiya'»), ils ont imposé un schéma moral et social qui a généré des sociétés rigides, renfermées sur elles-mêmes, hostiles au changement. Les idées qu'ils rabâchent avec les mêmes mots et les mêmes images depuis des siècles sont devenues des obstacles à des rapports humains tolérants et pacifiques, des entraves à l'épanouissement de l'homme musulman dans la liberté, un détournement de l'attention des vraies sciences vers le faux «ilm» et les fausses médications.
A leur instigation et sous leur guidée les actes des «croyants» sont tournés essentiellement vers leur intérêt personnel post mortem, pour gagner une place au paradis. Ils ne pensent pas et n'agissent pas collectivement, tout est laissé au bon vouloir de chacun, à sa propension au bien public ou à l'égoïsme. La société est absente de leurs préoccupations et encore plus l'Etat qui est une notion à peine intégrée par ceux qui se conçoivent d'abord comme des «croyants», c'est-à-dire des électrons libres. D'où le sous-développement de la plupart des Etats arabo-musulmans et leurs difficultés à édifier des institutions durables.
Le discours et l'enseignement islamiques doivent cesser de présenter les autres comme étant d'éternels fautifs et eux-mêmes comme des êtres angéliques ou des boucs émissaires ; que les autres sont dans l'erreur et eux dans la vérité ; que les autres doivent faire des concessions mais pas eux. Nous devons cesser de voir dans les autres confessions des déviations ou des idolâtries et dans leurs adeptes du combustible pour attiser les flammes de l'enfer. Nous devons cesser de penser d'eux qu'ils sont des mécréants au motif qu'ils croient en ce qui leur a été appris, en ce qu'ils ont reçu, mais que Dieu nous a différenciés et qu'il nous en expliquera les raisons le moment venu. Le Prophète (QSSSL) a dit : «Vous ne devez considérer les Gens du Livre ni comme dans le vrai ni comme dans l'erreur. Dites-leur seulement : Nous croyons à ce qui nous a été révélé et vous a été révélé. Notre Dieu et votre Dieu ne font qu'un.» Il y a du vrai dans chaque religion, chaque perception du sacré, chaque intuition spirituelle, chaque inspiration métaphysique, chaque sagesse, chaque doctrine philosophique (pythagorisme, socratisme, confucianisme, taoïsme...), et le tout constitue le patrimoine philosophique et religieux de l'humanité dans lequel chacun est libre de puiser ce qu'il lui plaît. Les vérités parcellaires se rapprocheront un jour pour former la vérité unique, divine et humaine à la fois. Aussi le musulman ne doit-il pas se penser en rupture avec les autres branches de la «Tradition primordiale», avec l'unité du genre humain, avec la communauté de destin de l'humanité ; il ne doit pas se poser comme l'unique détenteur de la vérité, la quintessence de la création humaine, ou regarder les autres comme étant voués à être décapité par le sabre des terroristes ou condamnés au châtiment infernal et éternel promis par leurs ulémas.
Les questions qui attendent des musulmans des révisions indispensables et des réponses sans équivoque se rapportent à l'organisation de l'Etat et des pouvoirs publics, aux relations avec les non-musulmans et à la question des droits de l'homme et de la femme.
Le droit international, la Déclaration universelle des droits de l'homme, le principe de réciprocité dans les rapports interétatiques ne peuvent tolérer que des êtres humains soient soumis à des discriminations à base religieuse.
Ils doivent renoncer d'eux-mêmes à l'idée d'Etat islamique au profit de l'Etat moderne, démocratique et civil car il n'existe pas d'Etat où ne vit qu'une seule communauté religieuse, qu'une seule race. Ils doivent accepter l'idée d'être minoritaires dans un pays et majoritaires dans un autre et adopter chez eux une organisation politique égalitaire entre les citoyens d'origine et les résidents légaux, statut qu'ils revendiquent quand ils se trouvent, eux, chez les autres. Le communautarisme a partout cédé la place à la communauté diverse, multiculturelle et multiconfessionnelle.
Une perspective différente de celle proposée ici trouvera facilement dans le Coran et le hadith des versets et des références en grand nombre pour faire valoir le contraire de ce qui est soutenu ici.
C'est justement l'un des grands problèmes de la pensée islamique : elle peut étayer une position et son contraire, justifier une politique ou prendre son contre-pied à partir des mêmes sources. Les ulémas voient en cela une «rahma», une bénédiction du ciel, alors que ce n'est qu'une source de désaccord et d'obstruction quand il s'agit par exemple d'arrêter une position acceptée de tous et applicable par tous sur une question capitale. Si le Coran avait été pris au pied de la lettre comme le font les ulémas sur tant de sujets, l'islam n'aurait pas, aux termes du verset suivant, dépassé les limites géographiques de La Mecque : «Voici un Livre (le Coran) béni que nous avons fait descendre, confirmant ce qui existait déjà avant lui, afin que tu avertisses la Mère des cités (La Mecque) et les gens tout autour» («al-An'âm», 55e-6e, v.92).
Changer notre vision des autres exige de changer d'abord notre regard sur nous-mêmes. C'est alors que le regard des autres sur nous changera. A moins d'une cure de réformes sévères, profondes et déchirantes dans son «univers-idées», l'ancienne civilisation islamique continuera à traîner la savate jusqu'au Jugement dernier, aussi sûre d'elle, de son droit et de ses vérités qu'elle l'était au premier jour alors qu'elle vit sur des idées dont la plus jeune est âgée de mille ans. Le «salaf», les «prédécesseurs», les ulémas des premiers siècles ont abattu un travail colossal et construit un «tafsir» admirable en logique sur la base du savoir de leur temps. Mais ce savoir a été remplacé par un autre, surtout depuis le siècle dernier, qui n'a pas encore généré le «tafsir» que réclame notre temps. Réformer l'islam, c'est renouveler le savoir et l'exégèse sur lesquels il a été bâti, ce qui entraînera des changements dans la manière de voir et de penser de ses élites religieuses, dans la mentalité populaire et le contenu de l'enseignement. Cela revient à agir simultanément sur plusieurs claviers, travail qui exigera des décennies à partir du moment où il aura commencé. De leur attitude face au problème de la réforme de leur vision du monde dépendra le sort des musulmans dans le concert des nations. Il leur appartient de changer eux-mêmes, avec leur propre génie, en s'adaptant aux exigences mondiales avec les ressources encore saines de leur culture, sinon ils seront pliés à des situations qui les humilieront de nouveau. Ils doivent s'inscrire de leur propre gré dans le continuum universel pour ne pas s'y trouver forcés ou mis au ban de la communauté internationale.
Cette contribution clôt une série qui s'est étendue sur six épisodes : «Plaidoyer pour une réforme de l'islam», «Peut-on réformer l'islam?», «Remettre le Coran à l'endroit», «Changer notre vision de Dieu», «Changer notre vision de la raison d'être de l'Homme» et celui-ci. A travers les sujets traités sous ces titres, nous avons essayé de poser une problématique, celle de la réforme de notre conception de l'islam à partir des Textes et à la lumière du savoir actuel, de proposer une méthodologie, d'indiquer les domaines d'application et d'avancer quelques idées nouvelles sur cette question capitale pour notre avenir, pour l'avenir de l'islam.


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