Tous ceux qui voient l'aiguille de leur balance tanguer vers un nombre à trois chiffres vous le diront. Le surpoids est un calvaire au quotidien : difficulté à trouver des vêtements à sa taille, lier des amitiés, se déplacer dans les transports en commun, encaisser le regard des autres, avoir une vie amoureuse... Quelques personnes qui souffrent de surpoids ont accepté de nous ouvrir leur cœur. nabila, 21 ans «Je pèse 95 kg pour 1,60 m. Vivre avec ce surpoids est un enfer au quotidien. J'ai toujours été en échec scolaire parce que constamment moquée par mes camarades. J'ai eu droit à tous les sobriquets ‘‘smina'', ‘‘bagra'', ‘‘ghoula''... Mal dans ma peau, je n'avais pas le cœur aux études. Par deux fois, j'ai raté mon bac. Désormais, je suis cloîtrée à la maison. Je n'ai pas la force de chercher une formation ou un stage. A quoi bon ? Le regard des autres est dur à supporter dans la rue : mépris et dégoût se lisent dans les yeux des gens. Cela engendre un manque de confiance en moi. Je me dis que je serai rejetée partout où j'irai. Je regarde les jeunes de mon âge avec envie. Le simple fait de sortir, de faire du lèche-vitrine, de se retrouver dans un café, de rire et de s'amuser me semble interdit. Lorsque je me hasarde dehors, je ne supporte pas d'être détaillée de la tête aux pieds comme une bête curieuse. Il y a le regard inquisiteur des autres mais pas seulement. Des paroles blessantes, dégradantes, humiliantes envers ma personne fusent sur mes pas. Mes rondeurs sont associées à de la gloutonnerie. Les jeunes sont impitoyables. J'ai droit à des moqueries et même des insultes. Je ne pense qu'à rentrer me réfugier dans ma chambre. C'est comme si le droit de vivre m'était refusé, interdit. Je suis très mal dans ma peau. J'ai bien essayé de m'en sortir en suivant des régimes draconiens. Rien à faire. Je n'arrive pas à perdre du poids. Alors quand je suis trop déprimée, je me rue sur les sucreries. Cela me fait du bien. Je pleure dans mon coin et me sens si mal dans ma peau.» Hayet, 31 ans «J'ai vu les kilos s'installer sans crier. De 64 kilos, ma balance a enregistré une vingtaine de kilos supplémentaires. J'ai un emploi, mais comme tous les gens en surpoids, je suis confrontée au regard mauvais de la société. Une société qui ne pardonne pas la différence chez les autres. Pour ma part, je suis classée dans la catégorie des poids éléphantesques. Si je suis enrobée, c'est que c'est de ma faute, jugent-ils. Les gens ne comprennent pas que l'obésité n'est pas toujours liée au fait qu'on mange trop. Etre en surpoids implique beaucoup de désagréments. Personnellement j'ai du mal à trouver des vêtements à ma taille en boutique. Je dois solliciter une couturière pour trouver quelque chose à me mettre sur le dos. Prendre un taxi, ressemble à un parcours du combattant. Les conducteurs ne s'arrêtent jamais car ils savent que j'occuperai deux places au lieu d'une. Un manque à gagner pour eux. Marcher, me déplacer, gravir des escaliers est une épreuve pour moi, surtout en été. Et comme cette saison dure pratiquement 6 mois chez nous, imaginez mon calvaire ! Quant à ma vie affective, n'en parlons pas ! Elle est quasi inexistante. Qui voudrait d'une ‘‘chose'' débordante et transpirante ? Le diktat de la beauté a imposé ses règles. On ne jure que par les silhouettes fines et sveltes sans essayer de voir ce qui se trouve dans le cœur des gens. Donc, pas de chance en amour, non plus. Côté loisirs, c'est compliqué aussi. Je ne vais jamais à la plage. Exhiber mes rondeurs devant les autres est au-dessus de mes forces. J'ai déjà essayé en me cachant sous un grand paréo. Tous les regards étaient braqués sur moi. Et pas seulement ceux des hommes, croyez-moi. Morte de honte, je me suis planquée sous le parasol en jurant que je ne mettrai plus les pieds à la plage. J'ai assez de maturité pour dédramatiser, cependant je dois avouer que souffrir d'obésité est un combat au quotidien. Pour sortir de cet isolement, je pense sérieusement à recourir à une méthode qui a fait ses preuves : le by-pass gastrique. Je suis prête à faire n'importe quoi pour élaguer tous ces kilos qui empoisonnent ma vie.» Hafid, 26 ans «Dans ma famille, on a tendance à être en surpoids. C'est génétique. Moi aussi je n'ai pas échappé à ce problème. Je dois avouer que je ne fais rien pour améliorer mon sort. Je ne surveille pas ce que je mange et je ne fais pas de sport non plus. Les kilos s'accumulent, déformant ma silhouette. Pour séduire les filles, ce n'est pas gagné. Pour trouver des jeans à ma taille, c'est compliqué. Sur le plan psychologique, je joue le gars qui s'assume ‘‘zaâma''. Mais au fond de moi, j'aurai préféré être svelte. Je vais essayer de me prendre sérieusement en charge. Un ami m'a proposé de nous mettre au footing. On commence vendredi prochain. On verra bien ce que cela donnera !» Assumer le regard des autres dans une société qui stigmatise tout ce qui ne rentre pas dans le moule est un challenge pour toutes ces personnes qui n'ont pas choisi d'être en surpoids et qui ne rêvent que d'une chose : être respectées et considérées comme des êtres normaux. Est-ce trop demander, s'interrogent-elles ? n